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Rencontre avec Amandine et Eric Chapuis

Amandine et Eric Chapuis sont partis en Inde pour un voyage au long cours, celui de leurs noces. Un itinéraire hors du commun : traverser l'Inde à pied du Kerala à l’Himalaya sur plus de 4400 km. En huit mois de marche, le couple retrace son voyage dans un récit particulièrement réussi. Rencontre.

 

 

Décider de partir en voyage de  noces pour une période de huit mois est déjà particulier en soi, mais qui plus est en Inde où l'intimité n'est pas facile à trouver, c'est carrément atypique. Qu'est-ce qui vous a poussés à réaliser ce voyage ?

Les voyages de noces sont en effet souvent associés à des destinations de rêves, totalement déconnectés des réalités du monde, et centrés sur le couple qui se suffit à lui-même. Nous souhaitions au contraire inscrire notre voyage dans une ouverture aux autres, dans une certaine liberté et confiance à entreprendre, où les faux-semblants n’auraient pas leur place. Ce genre de voyage ne se décide pas sur un coup de tête. Il est pour nous le résultat d’un parcours individuel et de couple. Il répond à une envie profonde de se libérer des carcans socio-économiques et culturels. Quant au choix de l’Inde, il s’explique par une certaine fascination, née d’un précédent voyage d’étude au Népal, mais aussi de lectures et de films. Nous ne recherchions pas de l’exotisme et des paysages sauvages mais du réalisme et des contacts humains. Nous avons été servis !

Crédit photo : Amandine Chapuis

Sur quels principes reposait votre périple ?

Tout d’abord, nous avions choisi de traverser l’Inde à pied. Plus qu’un moyen de locomotion il s’agissait d’un moyen de rencontre. Il ne fut donc jamais remis en cause. Notre périple reposait aussi sur le refus d’une quelconque autonomie. Notre but n’était pas de traverser l’Inde seuls contre tous mais bien avec l’aide de ceux qui le souhaiteraient ou le pourraient. Avec une unique carte au 1/3 000 000e, notre chemin dépendait à chaque village, à chaque croisement, des indications – bonnes ou mauvaises, et plus ou moins précises – que nous donnaient les Indiens. De même, loin des villes, repos et repas nous étaient souvent offerts, quitte à n’être qu’une simple paillasse et quelques chappattis. Portant une tente, nous aurions pu nous passer de cette générosité mais nous serions alors passés à côté des moments d’intimité partagés au sein de ces foyers. Nous avions donc pour principe de ne pas demander l’hospitalité mais seulement de l’accepter quand on nous l’offrait. Car notre bonne volonté ne devait pas être une raison pour nous imposer. Nous souhaitions ainsi que la disponibilité et l’envie de mieux se connaître soient réciproques.

Crédit photo : Amandine Chapuis

Comment avez-vous construit votre itinéraire ?

Nous avions un point de départ, le Cap Comorin à la pointe sud de l’Inde, et une zone d’arrivée, l’Himalaya. Entre les deux nous nous étions fixés, à titre indicatif, des étapes intermédiaires que nous estimions correspondre à un mois de marche. Mais, quand à Mysore on nous donne rendez-vous à Mangalore, cette invitation suffit à nous réorienter vers la côte. Ainsi une grande liberté détermine notre tracé. Un certain fatalisme aussi. Car sans carte précise, notre route dépendait surtout de notre capacité à faire comprendre notre projet à des Indiens qui croyaient nous aider en nous renvoyant sur des axes plus fréquentés par des bus que par des piétons… Ainsi, au jour le jour, ce n’est pas nous qui élaborions notre route mais les Indiens à qui nous demandions les noms des villes et villages qui nous permettraient de poursuivre vers le nord.

Les 4400 km à pied ont-ils fait de vous des pèlerins ?

Marcher dans la durée nécessite de voir plus loin que le bout de ses chaussures ! Le nombre de kilomètres devient anecdotique quand on arrive à mettre du sens à ces pas répétés. Certes, nous ne marchons pas vers un lieu de culte ni un dieu en particulier. Mais leur omniprésence en Inde nous oblige à nous interroger sur notre propre croyance et ses manifestations. Dieu est-il présent dans la nature et plus particulièrement les pierres peintes en bleu qui jonchent notre chemin, comme le croient les hindous, ou encore dans le respect de rites de la vie quotidienne comme nous l’expliquent des musulmans. N’est-il pas en chacun de nous, ce qui expliquerait alors l’origine du salut « Namaste » réalisé les mains jointes en s’inclinant légèrement ? Partir traverser l’Inde à pied est en soi un acte de foi envers les hommes et le monde qui nous entoure.

Les Indiens vous ont souvent rétorqué ce qu'était l'Inde en une phrase concise : « that is India ». Je vous retourne la question : qu'est-ce que l'Inde pour vous ?

Par cette phrase, les Indiens exprimaient souvent leur acceptation de ce qui nous paraissait pourtant inacceptable : les coupures d’électricité imposées 12h par jour dans le Maharashtra, la vitesse excessive de bus surchargés, ou encore la différence de statut entre la femme et l’homme. Ce fatalisme – qu’ils nommeraient plutôt destin – est sans doute nécessaire pour vivre en Inde, ne serait-ce que quelques mois. C’est sûrement ce qui en fait un pays aussi déconcertant et attachant à la fois.

Crédit photo : Amandine Chapuis

Quelles différences avez-vous perçu entre l'Inde imaginée avant votre départ et celle que vous avez rencontrée ?

Nous l’imaginions forcement divisée entre ses nécessiteux et ses millionnaires, ses habitants des villes et ceux des campagnes reculées, ses ingénieurs et ses analphabètes, sans parler de ses nombreux adeptes partagés entre Shiva, Krishna, Mahomet, Jésus ou Bouddha. L’Inde que nous avons parcourue nous est apparue bien plus cohérente. J’aime l’image du thali (le récipient dans lequel on juxtapose les différents ingrédients et sauces qui composent un repas) pour symboliser la grande richesse indienne, à savoir sa diversité socioculturelle. Au-delà de leurs différences, les Indiens que nous avons rencontrés semblent partager bien plus qu’un territoire, et plus particulièrement la fierté d’appartenir à un ce pays, un mélange d’attirance et de crainte vis-à-vis de l’Occident, une culture de l’accueil, ou encore un attachement profond à Dieu, la tradition, et la famille. Pourtant, il nous a aussi fallu nous détacher de cette image gandhienne. Les Indiens d’aujourd’hui ne sont pas tous des descendants de Gandhi ! Quant aux tensions entre extrémistes hindous et musulmans, nous avons pu vérifier qu’elles occultent un long et plus discret dialogue interreligieux…

Crédit photo : Amandine Chapuis

Comment rentre t-on d'un tel voyage ? Se reconnecter à la « french life » vous a t-il posé des soucis ?

Le retour d’un tel voyage est forcément compliqué. Passée l’excitation des retrouvailles, nous nous sommes replongés dans une vie assez similaire de celle que nous avions quittée un an auparavant ; Eric ayant retrouvé un emploi dès son retour. Mais à la différence que nous continuons de porter avec nous un encombrant bagage immatériel ! Refusant que ce voyage ne soit qu’une simple parenthèse hors du temps, beaucoup d’aspects de notre vie quotidienne me sont alors apparus superflus, inconsistants. Mais devions-nous pour autant nous battre contre notre propre culture ou en accepter ses forces et ses faiblesses comme les Indiens le faisaient de la leur ? Il nous a fallu une année supplémentaire pour nous réadapter à notre nouveau statut de sédentaire français – soit un temps bien plus long que ce qui nous avait été nécessaire pour endosser nos habits de marcheurs indiens ! Ce n’est qu’après nous être réconciliés avec notre identité (intégrant sans doute les changements consécutifs à notre voyage) que nous nous sommes lancés dans l’écriture du récit, Au cœur de l’Inde. Aujourd’hui, nous nous efforçons de vivre l’instant présent sans trop nous projeter vers un prochain voyage, même si le besoin de reprendre la route se fait, certains jours, déjà sentir…

Bibliographie

Au coeur de l'Inde : 4400 kilomètres à pied du Kerala à l'Himalaya

Site internet des auteurs : https://marche-indienne.over-blog.com/

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Grégory ROHART
Fondateur d'I-Trekkings et des blogs I-Voyages et My Wildlife, j'apprécie le rythme lent de la marche et des activités outdoor non motorisés pour découvrir des territoires montagneux et désertiques, observer la faune sauvage et rencontrer les populations locales. Je marche aussi bien seul, qu'entre amis ou avec des agences françaises ou locales. J'accompagne également des voyages photo animaliers qui associent le plaisir d'être dans la nature et l'apprentissage ou le perfectionnement de la photographie animalière.

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