Peux-tu nous présenter ta dernière grande itinérance la Traversée des Carpates ?
En 2006, j’ai réalisé une traversée des Alpes de Nice à Vienne, une marche qui a duré quatre mois à travers les huit pays alpins. Un itinéraire que j’ai souvent surnommé par la suite comme étant un rêve de randonneur.
Depuis ce temps, j’avais envie de renouveler une expérience de grande itinérance. Dans la continuité des Alpes, se trouvent les Carpates. Les chaînes sont séparées l’une de l’autre d’une cinquantaine de kilomètres seulement.
J’ai donc démarré ma traversée début juin 2011 à travers sept des huit pays sur lesquelles les Carpates s’étendent. A Vienne, j’ai passé le Danube que j’ai longé jusqu’à Bratislava en Slovaquie. De là, j’ai traversé les massifs forestiers des Malé et Bíelé Karpaty jusqu’à la République Tchèque où mon passage n’a été que symbolique. Puis j’ai continué en Slovaquie par les Malá Fatra pour rejoindre le grand massif des Tatras. J’ai sillonné entre Slovaquie et Pologne jusqu’au sommet du Rysy à 2499 mètres. Puis en Pologne, rejoins par Rémi, nous avons suivi un GR qui traverse le pays d’un bout à l’autre jusqu’à la frontière. De là nous avons rejoint le sommet de l’Ukraine, l’Hoverla à 2061 mètres. Après avoir passé la frontière en douce, j’ai continué seul en Roumanie à travers les massifs les plus difficiles, à franchir par manque d’informations comme les Munţii Bistrietei et Tarcãului. Aux pieds des Munţii Făgăraş, rejoins par Célia, nous avons continué jusqu’à la frontière Serbe, pays où ma Transcarpatie s’est terminée une dizaine de jours plus tard.
Au total, cela représente approximativement 2700 kilomètres et 115000 mètres de dénivelé positif.
Peux-tu nous expliquer comment tu as préparé ton itinérance ?
La préparation, c’est la partie qui a été la plus délicate, surtout pour l’Ukraine et la Roumanie. Pour chaque pays, j’ai eu une préparation différente. Pour la Slovaquie et la Pologne, ce fut assez simple car les sentiers sont bien balisés et on trouve facilement des cartes.
Pour l’Ukraine, ce fut un peu plus délicat. Sur les conseils d’Eric Visentin (NDLR : membre d’I-Trekkings), j’ai pris contact avec un responsable du balisage en Ukraine qui nous a remis une carte synthétique des chemins existants ou en projets. Nous avons (avec Rémi) tracés une ligne droite à travers l’Ukraine, en passant au maximum sur les crêtes du centre des Carpates. Pour la cartographie, nous n’avions que de vieilles cartes soviétiques trouvées sur internet. Mais pour la partie sud, on arrive à trouver des cartes très correctes depuis la France ou sur place.
En Roumanie, c’est quitte ou double. Certains massifs sont très bien équipés en carte et en balisage. Dans d’autres, il n’y a strictement rien, même pas de sentier. Là pour le coup, ce n’est pas évident de se frayer un chemin.
Quant à la Serbie, j’avais très peu d’informations. J’ai donc entré dans mon GPS l’itinéraire que j’avais tracé sur Google Earth. Je n’ai eu qu’à le suivre une fois sur place. Heureusement que je l’avais fait car c’est un vrai labyrinthe. Il y a des chemins dans tous les sens et sans balisage de grande randonnée.
Et pourquoi tu n’as pas préparé tout ton voyage avec Google Earth ?
Mon GPS est trop vieux (rire). Je ne peux pas y mettre l’itinéraire complet. Pour la Serbie, j’avais la trace complète de mon itinéraire et pour les autres pays, j’avais juste des points des villes et villages. Pour l’Ukraine et les massifs délicats de Roumanie, j’avais également quelques waypoints, comme les sommets et cols.
Il faudrait que je pense à changer de GPS (rire).
Qu’avais-tu dans ton sac à dos ?
Je suis parti avec un sac à dos plus léger que lors de ma traversée des Alpes. J’ai davantage réfléchi à ce que je prenais. Je n’avais pas beaucoup de chose en moins mais la différence de poids l’était. J’avais en moyenne un sac de 12 kg, ce qui est plutôt confortable. Il était surtout lourd, les jours de ravitaillement où je devais prendre environ quatre jours de nourriture. Mais C’est dans les Făgăraş en Roumanie qu’il a atteint son maximum, j’ai eu huit jours d’autonomie à porter. Là, le poids du sac à dos est monté à 18 kg.
Je n’avais pas grand chose. J’avais ma petite tente Terra Nova Laser Competition, un sac de couchage Mountain Equipment Xero 350, un matelas Therm-A-Rest Prolite, un réchaud à bois Bushbuddy… Pour les vêtements, deux t-shirts, un short, un collant, une polaire pour le froid et une veste pour la pluie. Rien d’autre. Mais quand il a plu des trombes d’eau, j’ai été obligé d’acheter un poncho.
Je cherchais avant tout à être libre de mes mouvements et à ne pas m’épuiser inutilement. Je me souviens que dans les Alpes, je souffrais souvent d’une douleur à l’épaule dû à mon sac trop lourd.
Voir la liste complète du matériel de Simon lors de sa traversée des Carpates
Tu faisais principalement du bivouac ?
J’ai fait plus de nuits en refuges, gîtes et hôtels que prévu à cause de la mauvaise météo au début de l’été mais aussi parce qu’il est interdit de bivouaquer dans les parcs nationaux en Slovaquie et Pologne. J’ai aussi été accueilli de temps en temps, chez l’habitant ou encore dans un monastère orthodoxe en Roumanie.
Au final, j’ai du dormir la moitié du temps sous tente et l’autre moitié en dur.
Quelles difficultés as-tu rencontré pendant ta traversée des Carpates ?
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La première, ça a été la météo. Au début de l’été, la météo a été pourrie et j’ai essuyé la pluie pendant trois à quatre semaines avec le vent, le brouillard et la neige. En Pologne à la même époque, certains villages étaient sous un mètre d’eau. Les petits ruisseaux devenaient des torrents, les sentiers ravinaient. J’ai aussi eu une tempête de neige dans les Tatras. Et bien sûr j’étais toujours en short…
L’orientation dans les forêts a aussi été un souci. Dans les Carpates, le pied du massif est toujours en forêt. Ce n’est pas toujours facile de trouver un sentier qui nous emmène en haut ; surtout que plus il y a de forêts, plus il y a d’exploitation forestière et plus il y de sentiers et de pistes. Heureusement, on peut demander sa route aux bucherons. Une fois sur les hauteurs ce sont les bergers qui servent de relais. Je me souviens m’être renseigné auprès des secours en montagne roumain pour traverser un petit massif. “Pour aller là-bas, ça ne passe pas, il faut être un survivor pour y aller. Il n’y a pas de sentiers balisés”. J’ai quand même essayé d’y aller, j’ai trouvé mon chemin, mais une fois sur les hauteurs, j’ai dû faire demi-tour, car la végétation avait repris ses droits, il y avait des champs d’orties de deux mètres de haut.
Autre difficulté en Roumanie, ce sont les chiens de bergers. Ils sont très impressionnants quand vous en croisez les premières fois. En général, il y a entre trois à sept chiens autour du berger. Quand, ils se lancent tous vers vous tout en grognant et qu’ils finissent par vous encercler, franchement on n’était pas très rassuré. Mais en passant deux mois en Roumanie, j’ai appris à gérer ce type de situation. Il faut avoir en permanence de petites pierres prêtes à être lancées afin d’effrayer les chiens. Très souvent, le fait de ramasser une pierre suffit pour les faire reculer.
Et les ours…
Avant de partir, je m’étais renseigné sur les attitudes à avoir si je devais rencontrer un ours. Il y en a dans toutes les Carpates mais majoritairement, ils sont concentrés en Roumanie où on en compte plus de 5000. En Roumanie, tous les soirs où c’était nécessaire, j’accrochais mon sac de nourriture dans un arbre. Que les ours me piquent la nourriture, peu importe, mais je ne voulais surtout pas qu’ils viennent m’importuner sous la tente.
J’ai croisé deux ours. Le premier, je n’ai fais que l’entendre. J’étais égaré dans une forêt et je me débattais avec la végétation lorsque j’ai entendu un énorme fracas dans une pente très raide ; il a fait un tel boucan que j’ai cru que c’était un bulldozer qui passait. La seconde fois, aussi dans une forêt dense et peu fréquentée, j’ai entendu une grosse respiration, un peu comme un chien essoufflé. Je me suis alors arrêté, j’ai regardé autour de moi et j’ai vu deux oreilles sortir d’un buisson, puis un museau. Il était là en face de moi à une vingtaine de mètres entrain d’humer l’air. J’ai attrapé mon sifflet et mon appareil photo, me suis glissé derrière un arbre. Cela faisait six jours que je n’étais pas lavé. Je me suis dit “pourvu que mon odeur couvre celle du dernier snicker qu’il me reste dans le sac à dos”. Il ne me restait plus que ça à manger. Puis, il est parti. Ça fait tout de même bien flipper sur le moment quand on le voit.
Tous les randonneurs n’ont pas 4 mois pour partir marcher. Quelles portions de ton itinéraire conseillerais-tu ?
Les Carpates c’est grand et ça dépend un peu de ce que l’on cherche. Il y a énormément de forêts et ceux qui aiment la montagne, ce n’est pas forcément ce qu’ils cherchent.
Les massifs principaux sont les Tatras en Slovaquie et Pologne, et les Făgăraş en Roumanie. Ceux sont les deux plus connus, bien balisés et très beaux mais aussi les plus fréquentés.
Mon coup de cœur de l’été, c’est l’Ukraine. La traversée peut se faire en deux semaines. J’ai d’ailleurs l’intention de réaliser un topo pour encourager les randonneurs francophones à se rendre dans ce beau pays.
Le sud-est de la Roumanie est mon second coup de cœur. Ce sont des massifs sauvages et superbes. A part des bergers et leurs chiens, on ne croise personne dans ces montagnes.
Toujours en Roumanie, il y a aussi le parc national des Retezat. Il est fort fréquenté en été, mais vraiment magnifique. A l’origine, il n’était pas sur mon itinéraire mais je ne regrette pas d’avoir fait un petit détour pour le découvrir.
Et les rencontres avec les locaux ?
J’ai réalisé certaines portions de l’itinéraire seul et d’autres avec des compagnons de route, Célia et Rémi. Lorsque j’ai été seul, le contact était très différent. En Roumanie, j’y suis resté deux mois. Le roumain est une langue latine, finalement pas très éloignée du français. Au fil des semaines, j’ai réussi à avoir suffisamment de vocabulaire pour discuter. Les soirées étaient très simples mais aussi très sympathiques.
La langue n’a jamais était un obstacle même en Ukraine où je ne comprenais pas grand-chose, surtout avec l’alphabet cyrillique. Les échanges se font autrement, avec des gestes et des sourires.
Qu’est-ce que tu pourrais nous dire en roumain ?
“Drum bun” Bonne route. C’est ce que me disaient tout le temps les roumains.
Quand on a fait une traversée de l’arc alpin, suivi par une traversée des Carpates, est-ce que le prochain projet n’est pas de poursuivre par les Balkans pour rejoindre les contreforts de l’Himalaya ?
C’est vrai que la fin des Carpates marque le début des Balkans. Mais pour l’instant, il n’y a pas de projets là-dessus. Le projet voyage au long cours sera sans doute en Amérique du sud. Ce continent m’attire déjà depuis bien longtemps. En 2005, j’ai traversé les Andes du Pérou et de Bolivie à vélo. Je rêve d’y retourner mais cette fois à pied.
En savoir plus sur Simon Dubuis
- Site internet de sa traversée des Carpates : www.transcarpatie.dubuis.net
- Site internet de toutes ses aventures : www.dubuis.net
- Sa fiche membre et ses carnets de randonnées sur I-Trekkings
Fondateur d’I-Trekkings et des blogs I-Voyages et My Wildlife, j’apprécie le rythme lent de la marche et des activités outdoor non motorisés pour découvrir des territoires montagneux et désertiques, observer la faune sauvage et rencontrer les populations locales. Je marche aussi bien seul, qu’entre amis ou avec des agences françaises ou locales. J’accompagne également des voyages photo animaliers qui associent le plaisir d’être dans la nature et l’apprentissage ou le perfectionnement de la photographie animalière.