La marche sans faim

La marche sans faim. Interview exclusive de Florian Gomet pour tout savoir sur le projet hors norme de parcourir à pied 360 km, sans manger.

Pratiqué par l’Homme, pour des raisons hygiénistes ou religieuses, depuis au moins 2300 ans, le jeûne fait intrinsèquement partie de son histoire évolutive. Dans nos sociétés modernes qui connaissent des épidémies massives de troubles des conduites alimentaires, cette pratique de privation temporaire de nourriture connaît un important regain d’intérêt. Le rapprochement du jeûne avec la randonnée date, quant à lui, d’une trentaine d’années, et rassemble, aujourd’hui, plus de cinq mille participants annuels au travers de divers stages. Pour autant, cette réalité reste largement méconnue. Entre crainte des dérives sectaires, a priori empreints d’inquiétudes alimentaires et difficultés de se procurer une information fiable, … nous n’avions pas pris le temps d’aborder le sujet sur I-trekkings. C’est donc avec beaucoup de curiosité que nous avons rencontré Florian Gomet et, sans l’idée de “convertir” qui que ce soit, décidé de saisir l’opportunité de présenter “la marche sans faim”, son aventure, pour évoquer la pratique du jeûne en randonnée.

Interview Florian Gomet
Toutes les images sont de Damien Artero©

 

“La marche sans faim”, entretien avec Florian Gomet

La trentaine d’années, un petit gabarit, le visage fin encadré de cheveux longs, châtains, je rencontre Florian au cours d’un entretien exclusif. Par cette “marche en jeûnant d’environ 360 km le long de la Canol Heritage Trail (Monts Mackenzie, Canada), je souhaitais attirer l’attention de mes concitoyens sur les bienfaits du jeûne et les formidables capacités du corps humain, de chaque individu, dès lors qu’il n’est pas affaibli par une hygiène de vie inadaptée” commence-t-il. Et de préciser que ce projet ne relève pas d’une recherche d’exploit, de record de temps, de distance, ou d’une quelconque compétition mais plutôt d’une découverte de soi.

Bonjour Florian, pourriez vous nous raconter votre parcours, ce qui vous a conduit à construire ce projet ?

Aux origines il faut évoquer un souhait de trouver un sens à ma vie, une réponse à un mal-être qui m’ont conduit à voyager. J’ai trouvé dans l’aventure, dans l’activité physique un équilibre. Cela m’a conduit à parcourir, sans moyens motorisés, la Norvège en 2013 puis l’Amérique du Nord en 2015-16. J’ai notamment traversé, en hiver et en solitaire les Monts Mackenzie, une chaîne de montagnes grande comme six fois la Suisse. Sur ces terres, entre Yukon et Territoires du Nord-ouest du Canada, j’ai repoussé mes limites dans un souci de mieux me connaître.

 Et c’est là qu’est née l’idée de “la marche sans faim” ?

Je suis assez instinctif, à l’écoute de mes envies et le choix de mes destinations est comme issu d’une intuition. Je suis tombé sous le charme des Mackenzie durant cet hiver 2016, lors de mon voyage en Amérique du Nord. J’étais décidé d’y revenir l’été, de parcourir les 360 km du Canol Heritage trail. Parcourir ce territoire isolé, exempt de toute ville, en “mode ultra-léger” tant en terme d’équipement que du point de vue alimentaire était un choix … naturel.

 Rentrons dans le vif du sujet. Vous êtes donc parti sans prendre de nourriture et sans l’intention de manger. Est-ce que vous pratiquez le jeûne depuis toujours ? Qu’est-ce qui vous y a conduit ?

Par méconnaissance de mon corps, par souci malsain d’exploits, j’ai accumulé les blessures. J’ai notamment énormément souffert de tendinites en Norvège et cela m’a conduit à rechercher des solutions. Non pas des solutions de soins ponctuels mais des réponses globales, systémiques, pour éviter que cela ne se reproduise. Ce fut un long parcours qui m’a conduit à m’interroger sur le lien entre mon corps et mon esprit et pratiquer la méditation, le yoga. Bien sûr, je ne pouvais laisser de côté la question du rapport de mon corps à l’environnement et à l’alimentation. Dans nos quotidiens, notre corps est déconnecté de ce à quoi des millénaires d’évolution l’ont préparé; l’activité physique, l’exposition aux éléments naturels – notamment le froid – et la privation temporaire de nourriture. On sait tous les conséquences délétères de l’absence d’activité physique et des excès alimentaires. Ainsi, peu à peu, je me suis construit une hygiène de vie au sein de laquelle le jeûne m’est apparu comme une évidence. J’ai commencé par expérimenter des jeûnes ponctuels. Et face aux effets positifs que je commençais à ressentir, “la marche sans faim” est devenue une évidence.

la marche sans faim, interview

Vous parlez des effets positifs que vous ressentiez ? Pour la plupart d’entre nous, marcheurs peu familiers de ces questions, se passer de manger évoque plutôt le “coup de barre” que l’effet positif. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Dans notre société; on a habitué nos corps à être approvisionné en continu par une nourriture riche, en disproportion des besoins. Et dès lors que l’on mange moins ou plus du tout, on souffre de symptômes de manque de cette nourriture addictive* et ultra-transformée.  Alors, bien sûr, pour quelqu’un qui n’a jamais jeûné le ressenti des premières fois est désagréable.  [Après 48 heures, l’organisme, privé de glucose, va “pomper” dans les réserves de graisses qu’il transforme en énergie dans le foie. Ce changement métabolique peut être à l’origine d’une “crise d’acidose” sans gravité mais caractérisée par des céphalées, des nausées, … NDLR]. Il y a aussi une perte temporaire d’énergie qui oblige à lâcher-prise et peut inquiéter parce qu’on se trouve face à de nouvelles sensations physiques et émotionnelles. Mais une fois que l’on accepte le “jeu”, alors le jeûne devient un moment où le corps a toute son énergie pour faire ce qu’il a à faire. Non seulement réaliser ses activités mais surtout “nettoyer des organes”**, … La plupart des personnes qui jeûnent soulignent qu’on accède à un état de clarté des idées bien plus important qu’à l’accoutumé. Et si l’état physique de la personne était bon au moment de commencer le jeûne alors on peut être actif du matin au soir, seule la motivation détermine ce que l’on peut faire ou pas en jeûnant. Au bout de quelques jours de jeûne l’ensemble du corps fonctionne mieux. C’est une “cure de jouvence” et quand on rompt le jeûne on ressent un formidable regain d’énergie, d’envie, de motivations.

* Si l’usage du terme “addiction” pour parler d’aliments – et particulièrement du sucre – reste débattu par la communauté scientifique, la réalité de cette “dépendance” fait l’objet de nombreuses publications scientifiques

** En période de jeûne, le foie va davantage neutraliser et éliminer les substances toxiques contenues dans notre organisme. Les mauvaises bactéries, vont être éliminées du micro-biote […] qui va connaître un développement de celles qui s’avèrent bénéfiques, [on va perdre de la] masse grasse. […]” souligne le Dr Lionel Coudron dans une interview accordée sur Doctissimo

Un projet qui n’a pas dû manquer de susciter des réactions ?

Ce qui touche aux habitudes, qui remet en cause des dogmes établis ne manque jamais de susciter des réactions. C’est naturel. Mais l’intention n’était pas de choquer, simplement d’ouvrir une fenêtre sur la pratique du jeûne. De faire prendre conscience à mes contemporains qu’aujourd’hui je passe dans les journaux, et que l’on fait un film pour quelque chose que n’importe lequel de nos ancêtres, avant la sédentarisation et la nourriture transformée, était capable de faire ! Et puis, le projet de “la marche sans faim” a été minutieusement préparé. Physiquement, psychiquement mais aussi du point de vue de la sécurité sur place, chaque détail a été pensé.

 Dites-nous en plus sur cette préparation …

Je me suis astreint, les mois précédents à une augmentation progressive de ma condition physique, jusqu’à être en mesure de courir 150 km par semaine. J’ai également beaucoup médité pour recentrer physique et mental, m’assurer que je désirais bien me lancer dans cette aventure, que je ne me piégeais pas au jeu de mon égo. Côté alimentation, j’ai pris 4 kilos pour offrir à mon corps les ressources nécessaires puis entamé une “descente alimentaire” qui sert à rentrer en douceur dans le jeûne en forçant le corps à utiliser ses graisses. Enfin, deux semaines avant le départ, je me suis mis au repos absolu (physique et psychique). J’ajoute que j’ai été suivi par un médecin hospitalier et accompagné par deux naturopathes.

 Et côté équipement ?

Mon choix était résolument ultra-light et mon équipement se composait d’une paire de sandales, d’un pantalon et de 2 t-shirts techniques, d’un coupe vent déperlant, d’un chapeau, d’un matelas, d’un sac de couchage et une tente, sans oublier une balise de détresse. Il y avait, bien sûr, également et du matériel vidéo pour me filmer quand j’étais seul.

marcher 14 jours sans manger

 Votre sécurité reposait sur cette balise ? Que ce serait-il passé en cas de souci lié au jeûne ?

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A cette balise s’ajoutait la présence de Damien Artero qui réalisait le tournage de mon aventure. Nous devions nous rejoindre à mi-parcours. En cas de difficulté, il aurait suffit qu’il m’alimente et nous aurions fini le parcours ainsi. L’objectif était de terminer cette aventure en pleine santé, parvenir au terme en se mettant en danger aurait été un non sens.

Venons-en à l’aventure. Vous avez, après 14 jours de marche sans manger, juste en buvant l’eau des rivières, atteint le mile 222 (kilomètre 360) qui marque la fin du Canol trail. Un vrai succès dont vous devez être fier ?

Oui, l’aventure est un succès et a démontré pleinement à quel point notre corps est extraordinaire. Le corps de chaque être humain en bonne santé a en lui les capacités de fonctionner à jeun et sans danger une à trois semaines. Dans notre monde caractérisé par les excès alimentaires, cela est édifiant !

Tout s’est donc déroulée sans difficulté ?

La rentrée dans le jeûne a été très facile car toute mon attention était concentrée sur l’objectif et les difficultés de terrain. Le parcours de la marche sans faim comprenait de nombreux passages de cours d’eau à gué, voire à la nage. Cela génère un stress important et donc la production par le corps de tout un cocktail d’euphorisants, de stimulants (endorphines, dopamine, …). Mais tout n’a pas pour autant été facile. La météo très favorable du départ m’a conduit à faire le choix … de n’emmener ni mon matelas ni mon imperméable. J’étais dans l’idée d’un allègement maximal et d’une activité intense qui maintiendrait ma température corporelle élevée***. Mais après les deux premiers jours où le thermomètre affichait 25°C la météo s’est fortement et définitivement dégradée. La pluie et des températures entre 10° et même sous 0°C, en deçà des moyennes de la région, m’ont accompagnées jusqu’au bout.

*** L’augmentation de la température du corps grâce à certaines pratiques – yoga du tummo – a fait l’objet de publications scientifiques.

 Qu’elles ont été les conséquences de ce choix malheureux ?

Le froid a provoqué une consommation bien plus importante que prévue de mes ressources. Notamment quand j’avais maille à partir avec la pluie ou des rivières à traverser, il me fallait me concentrer sur ma respiration pour produire la chaleur nécessaire à me réchauffer. Chaque matin, la première heure s’est également avérée difficile, caractérisée par un manque d’énergie. Mais c’est surtout au douzième jour, après être resté bloqué deux jours dans une cabane à cause de la météo, que sont apparues les vraies difficultés. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est l’inactivité qui est la plus difficile à gérer pendant un jeûne. J’ai alors, ressenti une fatigue intense bien plus psychique que physique, une lassitude à lutter en permanence contre le froid.

Pourtant, vous atteignez au quatorzième jour, la fin du Canol trail. Avec du recul, comment décririez-vous votre expérience ? Où a été le plaisir ?

Le plaisir est une notion très subjective et je ne crois pas qu’il en existe de définition unique. Vivre cette aventure, la réaliser pleinement … c’est au-delà du plaisir. Bien sûr, le caractère nouveau de l’aventure, le stress, le froid, en ont fait une expérience intime, hyperfocalisée sur mes sensations. Je n’ai donc malheureusement pas suffisamment été dans la contemplation. Mais j’en ressort avec une plus grande confiance en la vie. Et ça c’est bien plus que je ne pouvais espérer. Et puis mes expériences suivantes m’ont permis de réconcilier les deux approches.

la marche sans faim

Vous voulez dire que vous avez renouvelé l’expérience ?

D’une certaine manière oui. J’organise régulièrement des sessions gratuites d’une semaine avec une quinzaine de participants. Cette expérience collective, rendue plus facile par le soutien mutuel, laisse plus de place à la contemplation. Mais elle est aussi pour moi l’occasion de poursuivre cette expérience avec une dimension de partage qui me tient à cœur.

Et à propos de poursuite d’expérience, Florian, pouvez-vous pour conclure évoquer vos projets ?

Je pars le 10 mai pour un voyage que je prépare depuis 5 ans et que j’ai appelé : Eurotopia. Je vais partir de chez moi pieds nus, sans argent, sans papiers et sans aucun matériel pour rejoindre la mer noire par “la route des fleuves” puis revenir en changeant de rive. Cela représente environ 7000 km que j’espère boucler avant le mois de novembre. Je mangerai exclusivement des fruits (frais, séchés et à coque) et des légumes crus, que je quémanderai sur mon chemin, quitte à jeûner de temps en temps lorsque je n’en trouverai pas. C’est un acte doublement politique. A la fois de partir sans papiers, à une époque où tant d’individus en quête d’une terre hospitalière se heurtent aux frontières arbitraires.  Mais aussi de ne manger que des aliments provenant de rebuts et de des dons pour souligner dans quelle société de l’excès nous vivons. Mais c’est aussi une démarche pour rappeler à mes congénères de quoi est capable un corps humain qui n’est pas affaibli par une hygiène de vie inadaptée, en continuité avec la marche sans faim.

 

Le lecteur qui souhaiterait en savoir plus peut consulter les articles et documentaires suivants :

“La marche sans faim”, documentaire. 75 minutes de documentaire où se mêlent récit d’aventure et reportage sur le thème du jeûne. Le réalisateur, Damien Artéro, part à la rencontre de Florian avec un fatbike pour le filmer et interroger les enjeux du jeûne au travers d’interviews de médecins, nutritionnistes et spécialistes.

“La marche sans faim”, récit. 80 pages avec pour fil conducteur le récit de l’aventure. En guise de “respirations” cinq entretiens prétextes à aborder toutes les questions que l’on peut se poser sur la démarche, les à côtés. Carte de l’itinéraire, photographies et relevés médicaux complètent utilement le texte. Un ouvrage qui se lit sans difficultés et apporte un éclairage vraiment utile. On pourrait s’arrêter au caractère parfois jargonnant de l’écrit mais ce serait vraiment dommage.

Le jeûne, une nouvelle thérapie ? documentaire de Via Découvertes Production, réalisé par Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, Arte, 2011, 56’06

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