Avant de vous lancer dans l’écriture d’ouvrages sur la montagne, vous avez été ingénieur, Directeur de la communication au Commissariat à l’Energie Atomique mais aussi conseiller technique au ministère de la Jeunesse et des Sports. Comment passe t-on d’une vie professionnelle déjà bien remplie à celle d’écrivain ?
En réalité, je ne suis pas passé « d’une vie professionnelle bien remplie à celle d’écrivain », car j’ai toujours mené les deux de front. Ça s’est passé de la façon suivante.
Lorsque je suis venu à Paris, après mes études d’ingénieur à Lyon (1965), j’ai été initié à l’escalade par un ami parisien qui m’a emmené à Fontainebleau, et j’ai découvert les livres de montagne grâce à un ami savoyard que j’ai suivi chez les bouquinistes. Le hasard…
L’alpinisme que j’ai pratiqué à haut niveau après quelques années d’entraînement intensif, et les livres de montagne que j’ai commencé à collectionner ont progressivement pris une grande importance dans ma vie. Après avoir écrit quelques articles dans différentes revues de montagne, et participé à la rédaction de l’Encyclopédie de la Montagne (éditions Atlas), j’ai été contacté par les éditions Arthaud qui m’ont proposé d’écrire un livre sur la montagne. Sujet au choix. Il n’existait alors aucun livre français sur l’histoire du ski. J’ai proposé « L’épopée du ski » (1981). Le livre a bien marché. Le suivant aussi « Les alpinistes » (1984). Alors, j’ai continué. C’est comme ça que j’ai été successivement physicien, conseiller technique au Ministère des Sports et directeur de la communication les jours ouvrables et « écrivain de montagne » le reste du temps. Dès le début, j’ai en effet pris l’habitude d’écrire la nuit, car j’avais un métier passionnant… et une famille encore plus passionnante (une femme et 4 enfants). Quand j’ai été appelé par Edwige Avice, ministre des sports à la rejoindre, j’ai changé de métier, passant de mon laboratoire à un cabinet ministériel. Nouveau « métier » toujours passionnant, évidemment. Et j’ai continué à écrire, lorsque tout le monde dormait à la maison. J’avais la chance d’avoir sous la main un fonds documentaire – celui de ma « collection » – qui me permettait de travailler chez moi, donc en dehors des heures d’ouverture des bibliothèques publiques.
Aujourd’hui, je suis à la retraite. Une retraite active (je suis élu de ma commune, correspondant du Dauphiné, et… une famille toujours passionnante qui s’est enrichie d’une dizaine de petits enfants). Et j’ai gardé mes habitudes : écrire. De préférence dans les plages horaires qui n’appartiennent qu’à moi. Je ne suis pas un gros dormeur. C’est pratique. Ça permet de tricher en vivant plusieurs vies dans une.
Evidemment, je me suis inspiré de l’Annapurna. J’y ai trouvé un évènement, une histoire, des personnages, un doute et des questions.
– D’abord un évènement extraordinaire qui a fait entrer l’histoire de l’alpinisme dans l’histoire de France. Maurice Herzog revendique 20 millions d’exemplaires pour «Annapurna premier 8000 ». Peut-être exagère-t-il (ça lui arrive), mais même avec la moitié, c’est déjà sans équivalent dans l’histoire de la montagne. Un exploit d’une telle portée, c’est un cadre intéressant pour un thriller.
– Ensuite une histoire. Ce qui s’est réellement passé à l’Annapurna est émouvant, limite angoissant : les difficultés de l’ascension, la composition de la cordée d’assaut (un guide au palmarès exceptionnel et un chef d’expédition sans palmarès), la dispute entre les deux hommes sur la question de leur engagement (faut-il continuer ou renoncer ?… Qui commande dans une telle cordée : le guide ou le chef d’expédition ?…), l’attente des deux autres pendant toute la journée au camp V, la frustration de ceux qui n’ont pas été au sommet, la descente tragique, les graves blessures des « vainqueurs de l’Annapurna » et la captation de notoriété du chef d’expédition propulsé sur le devant de la scène au détriment de son compagnon relégué au rang de suiveur… Un bon point de départ pour un thriller, non ?… Evidemment, le reste était à imaginer…
– Des personnages bien typés : Maurice Herzog (Hervé Marion) chef d’expédition charismatique (« Pour l’alpiniste, le piolet est l’épée du légionnaire »), illuminé, mélangeant alpinisme et mysticisme (« En bravant l’inconnu, et non seulement l’adversité, je me sentais l’élu de Dieu »). C’est lui qui m’a mis sur la piste du Numineux – une sorte de Da Vinci Code de la montagne – du pain béni pour un auteur de thriller! D’ailleurs, j’avais proposé à l’éditeur de l’intituler « La croix et le piolet ». D’autres personnages comme Louis Lachenal (Laurent Souste), héros romantique, torturé à la fois par son infirmité et par l’humiliation d’apparaître comme le guide qui a manqué sinon de courage du moins d’ambition. Lionel Terray (Tony Larcher), solide moralement et physiquement en toutes circonstances, celui sur qui on peut compter… Gaston Rébuffat (Raymond Grivel), pour qui cette expédition a été une épreuve morale autant que physique (dans son journal, il se plaint sans cesse des autres, de l’organisation de l’expédition, de ses problèmes de santé…), et qui vouera une haine féroce à Maurice Herzog. Seule exception, le président Devies qui n’a rien à voir avec le personnage du président Laurier, une création totale. J’ai travaillé ces personnages, un peu comme un sculpteur avec sa glaise. Je les ai façonnés, transformés. J’en ai aussi créé d’autres, pour compléter le casting de La conjuration du Namche Barwa.
– Un doute. Un doute bien réel qui, depuis l’origine et encore aujourd’hui, a jeté le trouble. Au point que dans un article du Monde (8 novembre 1996), Maurice Herzog a dû, une nouvelle fois, se justifier en affirmant : « Nous étions véritablement au sommet ». Dans un courrier récent, Philippe Cornuau, m’a fait part de ses doutes : il est persuadé qu’Herzog et Lachenal n’ont pas été au sommet de l’Annapurna. Or, Philippe Cornuau (alias Christian Piton dans la Conjuration) est le journaliste auquel Lachenal s’était confié en vue de la publication de ses mémoires (avant de se tuer à la Vallée Blanche en 1956, Maurice Herzog est alors venu récupérer le manuscrit pour se charger avec son frère Gérard de publier les « Carnets du vertige », après « adaptation » du manuscrit original). Il est vrai que la photo du « vainqueur » où l’on voit Maurice Herzog, dans une pente, brandir un drapeau au bout de son piolet, ne prouve rien : ni qu’ils ont été au sommet, ni qu’ils n’y sont pas allés. Mais je n’ai pas cherché à prouver quoi que ce soit. Ni même à susciter le doute. Ce n’est absolument pas mon propos. Ni mon problème. Je me fiche de savoir si Maurice Herzog a été au sommet de l’Annapurna. J’ai simplement repris l’hypothèse d’un mensonge, et celle d’une conspiration, avec des pressions sur les témoins (Lachenal a réellement été dissuadé de s’exprimer, comme le prouve le témoignage de Rébuffat cité au début du roman). J’ai retenu l’idée du mensonge non pour l’accréditer, ni pour persécuter Maurice Herzog, mais simplement parce que c’était un ressort dramatique très intéressant pour un thriller.
– Des questions. Elles sont nombreuses, et l’occasion était bonne de les aborder au détour d’une fiction : la captation de notoriété du chef d’expédition, la dimension nationale – nationaliste – d’une expédition de type colonial, et la dénaturation des valeurs essentielles de l’alpinisme, les moyens de susciter la ferveur populaire autour d’un évènement sportif etc.
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Alors, Quelle est la part de fiction et de réalité ?… Les connaisseurs de l’Annapurna apprécieront peut-être à la lumière de ces explications. Les autres, ceux qui n’ont jamais entendu parler de l’Annapurna ou de Maurice Herzog, et ceux qui connaissent mais qui s’en fichent – l’immense majorité – apprécieront simplement cette cuisine aux épices annapurniennes, sans s’interroger sur la proportion de piments.
Vous introduisez dans votre roman le concept de « numineux » qui apparaît pour la première fois chez Rudolf Otto, théologien et philosophe allemand. Pouvez-vous nous expliquer quel lien vous faites entre le « numineux » et la montagne, l’alpinisme en particulier.
Dans « Renaître, une autre vie après l’Annapurna », (aux éditions Jacob Duvernet, 2007), Maurice Herzog fait de nombreuses références au sacré. En voici quelques-unes : « Les hommes de la montagne ont toujours été inspirés par Dieu, même à leur insu. »… « Un piolet est aussi une croix »… « La montagne a tout de même été votre croix ?… Êtes-vous sûr d’ailleurs que votre inspiration n’était pas divine ? »… « Le destin m’a assigné un rôle qui m’a martyrisé. Étais-je le bras séculier d’une puissance divine ? »… «Comment aurais-je pu vendre mon âme, celle-là même qui m’avait été conférée par les dieux de l’Himalaya ? »… « La montagne accueille les êtres assoiffés de spiritualité. C’est pourquoi elle constitue à elle seule un immense monastère. »
J’ai cherché à comprendre cette démarche sacralisante de Maurice Herzog, unique dans les récits de montagne. Et j’ai trouvé une explication dans l’excellent ouvrage de Samivel « Hommes cimes et dieux » (Arthaud 1973) : « La démarche sacralisante s’accomplit à un certain niveau ineffable en faveur d’un certain Objet pour lequel on a au moins trouvé un nom ; le Numineux, du mot latin « numen », qui contient les idées de majesté, de grandeur, de sublime, de force, de domination. […] Le Numineux suscite la curiosité craintive, le respect, la vénération, la terreur, voire l’horreur, l’amour tremblant, tout cela parfois simultanément. ».
Le concept du Numineux, qui associe les notions de majesté, de grandeur, de sublime, de force, de domination m’a paru très intéressant… pour un roman. Ensuite, j’ai rencontré le bon père Gabriel qui m’a raconté l’histoire de l’alpinisme (sous un jour nouveau, et inattendu, je dois le dire) et révélé l’existence d’un ordre religieux extraordinairement puissant. C’était tellement étonnant que j’ai parfois eu du mal à le suivre !… Mais il était tellement convaincant, ce bon père dominicain…
Mes meilleurs souvenirs :
– L’éperon Walker aux Grandes Jorasses. Avec Jacques et Gérard. Et un bivouac. C’était un peu comme un pèlerinage, après avoir lu et relu les récits de Cassin de Rébuffat, de Terray…
– La face est du Grand Capucin, là encore sur les traces d’un grand alpiniste – Walter Bonatti. Sous un soleil de plomb qui m’a desséché au point que ma glotte était dure comme un caillou !…Mais quelle magnifique escalade !
– La Brenva au Mont-Blanc. Avec Max. Et le sentiment très fort qu’en partant à deux dans cette magnifique course de neige, on se faisait confiance : encordés, et progressant ensemble, la moindre défaillance de l’un, aurait entraîné les deux quelques centaines de mètres plus bas…
– Une voie ouverte (toujours avec Max) dans le massif des Laurentides (au Canada). Un relais sur étriers après une traversée assez exposée sous un gros surplomb. Je demande à Max de s’arrêter le temps que je plante un deuxième piton. En équilibre incertain sur des prises tout aussi incertaines, il grogne. Je ne cède pas. Quand il me rejoint, le premier piton lâche, et nous nous retrouvons tous les deux sur nos étriers pendus au deuxième piton !…Avec cent mètres de vide sous les fesses. J’ai planté un troisième piton avant de poursuivre l’escalade.
– Mon expédition au Lhotse avec Jerzy Kukuczka (1990), l’alpiniste polonais qui était le second à avoir réalisé, après Messner, l’ascension des 14 huit mille de la planète, s’attaquait à la mythique face sud du Lhotse. L’occasion de participer à une grande expédition, et aussi de réaliser une première en parapente (premier envol depuis Island Peak 6200 mètres), mais, malheureusement, endeuillée par la disparition de Jerzy, victime d’une chute à une centaine de mètres du sommet.
– Et puis mes séjours au PGHM de Chamonix qui m’a accueilli plusieurs années de suite pour participer aux opérations de sauvetage dans le massif du Mont Blanc. Des types formidables, et une expérience unique.
Pratiquez-vous aussi le trekking ?
Côté trekking, le bilan est maigre. J’ai bien aimé la marche d’approche pour rallier le camp de base de l’expédition au Lhotse (à 5000 mètres d’altitude). Trois jours de marche au rythme des yaks. Des paysages sublimes qui vous mettent progressivement dans l’ambiance, et un effort harmonieux. Mais j’avoue que les marches d’approche ont été pour moi, non pas une punition, mais une étape nécessaire, et souvent agréable, vers quelque chose de plus engagé : l’alpinisme. Avec l’âge (66 ans), le moment est peut-être venu de revenir aux fondamentaux, et de considérer la marche en altitude comme une fin en soi…
Bibliographie (extrait) :
- Les alpinistes (Arthaud 1984 – Glénat 1997)
- À la conquête du mont Blanc (Gallimard 1986)
- L’hiver de glisse et de glace (Gallimard 1991)
- Gaston Rébuffat, une vie pour la montagne (Hoebeke 1996)
- Les Alpes à l’affiche (Vents d’ouest 1998)
- Naufrage au mont Blanc (Glénat 1998)
- Le mont Blanc, temple de l’alpinisme (Éditions Le Dauphiné 2001)
- De Mélusine à Minatec (Éditions Le Dauphiné 2006)
- Mourir à Chamonix (Glénat 2006)
- La conjurations du Namche Barwa – lire la chronique (Glénat 2008)
Blog d’Yves Ballu : http://yvesballublog.canalblog.com/
Fondateur d’I-Trekkings et des blogs I-Voyages et My Wildlife, j’apprécie le rythme lent de la marche et des activités outdoor non motorisés pour découvrir des territoires montagneux et désertiques, observer la faune sauvage et rencontrer les populations locales. Je marche aussi bien seul, qu’entre amis ou avec des agences françaises ou locales. J’accompagne également des voyages photo animaliers qui associent le plaisir d’être dans la nature et l’apprentissage ou le perfectionnement de la photographie animalière.