Ethique et toc…
Déjeuner à 6h, nous partons dès que nous sommes prêts. Objectif : parfaire l'acclimatation entre 5 et 6000m et familiariser Anne Garance avec les passages d'échelles. Devant le spectacle elle est saisie des mêmes sentiments que moi la veille :"c'est hénaurme" s'exclame-t'elle. Nous grimpons jusqu'à 9h, franchissant au passage quelques remarquables échelles pour lesquelles AG n'éprouve aucune appréhension, puis décidons la descente à l'heure où l'icefall commence à chauffer sous le soleil. A ce propos, en très haute montagne, il y a 2 heures où il fait bon vivre entre 9 et 11h ! Le reste du temps il fait trop chaud ou trop froid. Salut les masos… Mais c'est tellement beau ! Dans l'après midi nous préparons avec Ang Tsering, un des deux sherpas d'altitude, nourriture et charges pour les camps supérieurs. Notre nourriture, les tentes, les réchauds, l'oxygène, etc. Tout est porté par les sherpas, nous ne transportons que nos affaires personnelles. Ca me change de pas mal d'expéditions où l'autonomie en altitude fut presque totale. Mais c'est à ce prix qu'ils peuvent vendre une montagne aussi difficile au plus grand nombre. Équipement total de la montagne et transport du matériel des Occidentaux plus ou moins fortunés qui viennent se mesurer à cette folle entreprise. Ils peuvent ainsi se partager un copieux gâteau : c'est l'Everest business… J'entends d'ici les commentaires de cafistes en chemise à carreaux (ils les ont depuis longtemps jetées aux orties, mais c'est pour l'image) et autres parangons de vertu refaisant le monde de la montagne autour d'une bière au café de la poste, toujours prêts à donner des leçons d'intégrité quand leurs salaires tombent tous les mois. Leur réaction peut sembler justifiée et nous restons tous attachés à une éthique de l'alpinisme que nous retrouvons dès que l'occasion s'en présente, mais même dans ces conditions d'assistance l'ascension de cette montagne reste un énorme dépassement de soi pour la majorité des personnes qui l'entreprennent. . Même si je regrette ce peu d’autonomie a quoi me servirait-il de me révolter contre ce qui est devenu une institution. Cela me rend disponible et me permet de me consacrer entièrement à l’assistance de ma cliente. Et puis les montagnes sont nombreuses et il reste tant de projets de par le monde en parfaite éthique pour les amateurs que nous sommes restés, et je n'ai pas vu beaucoup de puristes passer à côté des cordes fixes quand elles sont en place au delà de 5000m.
- M / D : 300m
- Tps : 4h30
- Pls : 76/118/141
Quand le corps se souvient…
Alors là les amis, aujourd'hui c'est la fête du guide ! Le monde à l'envers, la cliente attend et encourage le guide. Le guide est malade. Bronches en feu, jambes en coton, c'est comme si je n'avais qu'un poumon sur deux qui fonctionne et avec le soleil c'est l'enfer de l'icefall et à chaque instant je crois abandonner. Je paye au prix fort l'effort de 10h d'avant-hier où, piégé par mon enthousiasme, je suis allé trop loin et pourtant je le connais ce piège pour l'avoir expérimenté plusieurs fois… Grand enfant va ! En altitude l'air glacé nous entre directement dans les poumons d'autant plus qu'on est obligé d'augmenter les échanges respiratoires et cela débouche très vite sur une infection sinus gorge bronches. C'est le piège classique et mon talon d'Achille la sphère ORL. Ce qui m'est déjà arrivé au trekking du Kangchenjunga en 2006 où j'ai cru abandonner. Heureusement grâce aux 2 infirmières qui m'ont prescrit le bon cocktail, je sais ce qu'il faut faire maintenant. Arrivés au camp, Anne Garance se révèle une camarade de tente efficace et agréable, présentement j'en ai bien besoin.
- M : 800m-160m/h
- Tps : 9h
- Pouls : 49/122/151
La haute altitude c’est gagner durement le devoir de ne rien faire…
Pression : 488mb on est passé sous les 500 !
Journée glandouille ! En altitude il est urgent de ne rien faire. Journée repos, lecture (Terre de Feu de Coloane excellent), écriture, rares sorties de la tente pour satisfaire les besoins naturels. A ce propos j'ai fait l'impasse sur la gourde pipi par égard pour ma voisine de tente et je le regrette. Le C1 est un village de tentes (150) avec une intense activité d'aller et venues, il est coincé dans cette étroite combe ouest entre les gigantesques parois de l'Everest et du Nuptse, la face du Lhotse ferme la combe et on y perçoit la suite de notre itinéraire, sur la gauche se profile l'arête de l'Everest du col sud au sommet sud. Finalement, c'est une bonne solution de rester à ne rien faire une journée à la nouvelle haute altitude. Marquer des paliers d'acclimatation c'est le mieux, il faut en avoir la patience et le temps. De plus le sommeil de la journée est plus réparateur. Notre planning d'ascension s'improvise d'autant plus qu'aux dernières nouvelles nous allons vraiment être assignés à résidence au CB du 1er au 10 mai. Il faut exploiter au mieux cette première période en espérant que ses effets ne s'estompent pas trop en attendant que ces messieurs portent la flamme olympique là-haut. En attendant, ce soir c'est la renaissance, je sors peu à peu de l'abîme où je me débattais hier. Les remèdes de cheval que je m'administre n'y sont sûrement pas pour rien.