Dans la vie il y a le ventre et ce qu’il y a au bout, à l’Everest il n’y a plus que le ventre (Chris Bonington)
A 6000m T°sous la tente à 2 : -9° Pression : 483mb
Pouls mini mesuré : 56
Les parois de la tente sont couvertes de givre et à chaque rafale de vent (il se lève à 3h et cesse à 17h) nous avons droit à une toilette rafraîchissante du visage, des particules de givre éjectées de la toile. Mauvais sommeil pour Anne Garance pourtant nantie de capacités rares de ce côté-là, il faut du temps pour cette foutue acclimatation.
Le C2 est le pendant du C1 qui se trouve sous l’épaule de l’Everest. Il se trouve lui sous la gigantesque et sombre face ouest de l’Everest, 2500m de roche noire et délitée, d’immenses tours en ruine, des couloirs, des facettes glacées, tout un univers difficile à appréhender pour les infimes poussières que nous sommes à son pied. Cette face fut gravie en son temps par l’Anglais Chris Bonington et ses compagnons.
Pour se rendre au C2, on emprunte l’étroite combe ouest entre la face étincelante et métallique du Nuptse sur la droite et la face de fantasmagoriques structures de glace de l’épaule ouest de l’Everest sur la gauche. Il ne m’a jamais été donné de voir de telles couleurs et de telles formes. Alors là le minéral se surpasse !
Pour se rendre au C2 la dénivellation est raisonnable, mais la distance importante. Je m’applique à donner un rythme lent et régulier à AG qui souffre un peu aujourd’hui, en manque de glucides lents de nos repas du camp précédent.
Dans le long tête-à-tête que j’ai avec elle, je l’apprécie de plus en plus. Aussi peu bavards l’un que l’autre, les choses avancent doucement. Il faut dire que l’animation d’un groupe d’une personne pendant 64 jours c’est assez nouveau pour moi. J’apprécie son côté respectueux et responsable. Rien de tel qu’une bonne éducation bourgeoise, latin-grec, conservatoire et scoutisme pour faire des adultes qui tiennent la route. Je sais, ma pensée s’éloigne de plus en plus de celle de James Dean pour se rapprocher de celle du général de Gaulle, c’est parce que je suis entré depuis longtemps dans l’âge mur (celui qui précède l’âge pourri). Mais si je n’étais pas resté un peu rêveur et utopiste serais-je ici ? Oui, me direz-vous, je suis payé, mais aller à l’Everest est-ce la bonne façon de gagner tranquillement sa croûte ? A propos d’utopie, j’ai beaucoup aimé la phrase de Sepulveda en intro au bouquin de Coloane : " l’utopie n’a de valeur que par l’élan qu’elle éveille dans le cœur des hommes ".
Où en étais-je avant de digresser dans l’utopie ? Ah oui nous arrivons donc à ce fameux camp au milieu de glace et blocs de rocher, étrange, calé sous la face ouest qui nous domine de ses 2500m. Notre tactique va consister à en faire un camp de base avancé avec un peu de confort : chacun sa tente, tente cuisine avec cook qui prépare les repas, point de départ réconfortant pour le sommet. Toutes les expéditions procèdent ainsi, c’est l’Everest business (une économie qui concerne 100’000 personnes, paraît-il) Maïla notre cook, toujours le sourire jusqu’aux oreilles, nous attend et nous retape avec ses petits plats. Il a monté comme demandé par radio nos mots fléchés et ma sacro-sainte gourde pipi, avec la gourde pipi tu restes au lit, qu’il soit béni…
Pendant que sous la tente cuisine Maïla nous prodigue des soins quasi maternels, il me semble entendre ma langue maternelle cette fois-ci, chose si rare en ces lieux, je me déplace jusqu’à la tente voisine et je tombe sur Nadir, un Franco-Algérien du 93. Journaliste à FR3 perdu dans une expédition anglo-saxonne petit budget moins "assistée" que la nôtre, il souffre un peu, heureux de parler à un pays. Insolite et courageux le premier Algérien au sommet ? Qui sait…
Après la sieste réparatrice, petit tour dans le camp qui voisine avec d’immenses et fantasques formations glaciaires au soleil rasant, c’est extraordinaire. Cette beauté singulière de la très haute montagne comme une belle musique nous touche au plus profond (à condition de ne pas être malade !) Aujourd’hui encore ma joie est immense, le bonheur des cimes me fait le don de sa visite. C’est une sorte de joie enfantine. "L’amour de la montagne chez un homme c’est l’enfance en lui qui ne veut pas mourir" Le seule petit souci c’est de ne pas pouvoir partager avec tous ceux qui, comme nous, ressentent l’émotion en ces lieux, et je pense à chaque fois au dessin de Samivel représentant quelqu’un qui contemple un paysage de montagne et se dit : " il faudra que je le dise à quelqu’un ".
Ecouté avant de dormir les suites pour luth de Bach. L’écoute au casque est plus précise. Pourtant écoutées et réécoutées, l’impression de redécouvrir à chaque fois cette géniale musique.
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- M : 388m – 180m/h
- D : 40m
- Tps : 4h20
- Pls : 45/101/131
Le jeune Marius travaillant à l’année entendait le sabir (pour amateurs éclairés, il s’agit de marié et elle est double)
Le froid nous paralyse et nous affaiblit. Il va falloir compter avec lui et l’oxygène rare désormais, deux fortes puissances avec lesquelles composer. La règle : se débrouiller à éviter leurs agressions. On fait le siège de la montagne et nos armures modernes de plumes nous protègent des flammes froides qui nous agressent. Aujourd’hui repos, globules, pas grand chose si ce n’est la visite insolite d’un militaire népalais parlant un sabir français avec un accent camerounais et portant un fusil à lunette faisant le tour des équipes pour bien montrer que la loi est présente.
Home sweet home
T° et Pression : les mêmes Pouls mini au réveil : 61
Après réflexion nous décidons une redescente au CB. 2 nuits à 6000m et 2 nuits à 6350m devraient bien améliorer la polyglobulie (augmentation du nombre de globules rouges qui compense la baisse de pression d’air = acclimatation). Et une bonne cure de repos 1000m plus bas nous sera profitable, de toute manière, selon les dernières nouvelles, personne ne doit quitter le CB du 1er au 3/05.
Départ avec le soleil vers 8h30. Nous marchons régulièrement en prenant garde à ne pas nous essouffler. Il y a un trafic incroyable de sherpas et d’alpinistes en tout genre et c’est étrange de penser que cet endroit est resté pendant des millions d’années, par son inaccessibilité, un des plus sauvage de la planète.
Cette montagne est tellement hors de proportion que nous avons l’impression de découvrir les passages pourtant déjà parcourus plusieurs fois. Quelques échelles branlantes au dessus d’abîmes insondables réservent quelques moments de bravoure. Et nous revoilà au CB pour des vacances forcées, home sweet home, la tente douche est grandement appréciée.
- M : 147m-260m/h
- D : 1143m-520m/h
- Tps : 4h45
- Pls : 52/110/168
Guide de haute montagne, Vingt-cinq années d’itinérance dans les Alpes, l’Amérique du Sud et l’Himalaya en alpinisme, trekking, expéditions et l’émotion provoquée par la fréquentation de paysages hors du commun ont trouvé un débouché tout naturel à une passion tenace pour la photographie et le terrain d’aventure. Je me retrouve à la tête d’une collection de clichés et de récits de voyages conséquente que j’aimerais mieux partager…Daniel