Nous sommes fin février, à quelques trois cents kilomètres au nord d’Oslo. Devant nos yeux, s’ouvrent les plus de quatre milles kilomètres carrés de nature vierge, de toundra couverte de neige et de glace du parc national norvégien du Dovrefjell-Sunndasfjella. Nous avons choisi d’y expérimenter notre première randonnée itinérante à ski-pulka, avec bivouac. Mais à l’heure de partir, le brief de la veille avec Stein Pedersen, responsable du camp Furuhaugli situé aux portes du Parc, provoque un petit flottement : “Les conditions vont être très difficiles, il y a énormément de vent, la neige est soufflée partout et la progression sera lente. Votre seule option est le lit de la rivière qui sera gelée. Passez la première colline et le cours d’eau sera juste là … ”
Premiers pas dans la toundra
Les pulkas chargées des 70 kilos d’équipement et de nourriture nous franchissons les 200 mètres de dénivelés raides qui nous séparent du plateau. Nos yeux découvrent alors, sous une lumière blafarde, l’immensité de l’espace. La très faible couche de neige, qui nous oblige à zigzaguer pour éviter les patchs de toundra à nu, et l’absence de vue sur le relief, happé par les brumes, nous font rapidement perdre tout repère. “Le cours d’eau juste là”, s’avère en définitive plus difficile à repérer que prévu et nous prenons vite trois heures de retard. Nous devrions nous sentir soulagés quand enfin apparaissent les berges marquées par quelques buissons chétifs de bouleaux et d’aulnes dénudés, mais le spectacle d’un torrent coulant, libre de glaces par endroit, nous interroge sur la suite de notre périple. Le ciel se déchire sur les dernières lueurs du jour, nous offrant au loin dans notre dos le spectacle du mythique massif de Rondane. Il est temps de monter le premier bivouac.
Second camp
Les hésitations du début se sont vites dissipées. Le terrain est confortablement praticable dans le fond de vallée que nous remontons. Passé une importante confluence, notre cours d’eau a rapidement disparu sous la glace poudrée de neige, offrant une surface propice à la progression. Le relief alentours est, quant à lui, impraticable, couvert d’une couche de glace vive provoquée par un redoux suivi du brutal refroidissement d’il y a quelques semaines. La température se situe autour des – 25°C, ce qui reste étonnamment confortable tant que nous sommes actifs. T-shirt laine, polaire et Gore-tex suffisent en effet à nous maintenir au chaud mais pas question de marquer d’importantes pauses car le refroidissement est immédiat. Il faut également maîtriser ses efforts pour ne pas transpirer, et donc geler sur pied quand la sueur refroidit, marquer de brèves pauses pour s’hydrater et grignoter, … Nos premiers apprentissages ont rapidement dessiné une routine rassurante prenant en compte la faiblesse de la durée du jour, la progression à ski-pulka et le temps du camp. Un temps que nous savions long mais que nous n’aurions pas imaginé si important. Casser la croûte de neige durcie par le vent pour préparer une surface plane pour la tente, l’ancrer solidement, préparer les murets de neige pour l’abriter du vent, organiser l’espace cuisine, s’habiller chaudement, faire fondre la neige pour s’hydrater et chauffer les lyophilisés, gonfler les matelas et préparer le couchage, ranger et sécuriser les pulkas nous prennent au minimum deux heures et demie. Ajoutées au temps de pliage du camp, ces heures empiètent largement sur le temps de progression. Et ce n’est pas le vent de face qui a forci au matin de ce troisième jour qui va nous permettre d’accélérer la cadence.
Tourbillons de rennes
La végétation qui a disparu, la douceur des lignes du relief, la blancheur étincelante de la neige, … tout concourt à donner naissance à un paysage minimaliste et pur. Les skis glissent dans un crissement léger, le rythme devient mécanique, hypnotique et l’esprit se perd dans ce décor onirique sans échelle ni repère. Les visages protégés derrière nos masques de ski, encagoulés et précautionneusement protégés par les capuches ajustées, nous isolent du monde extérieur, réduisent nos sens et renforcent cette étonnante sensation de rêve éveillé. Il nous faut alors réellement nous pincer pour s’assurer que l’étrange ballet qui s’anime sous nos yeux est bien réel. Au loin, très loin, à flanc de collines, un immense troupeau de mammifères tourbillonne comme un vol d’étourneaux. Il s’agite, se tourne vers nous, anime la montagne froide d’une extraordinaire pulsation de vie puis s’efface, sans un son. A peine le temps de figer l’image dans nos mémoires, de composer quelques photos et les tout derniers rennes sauvages d’Europe s’évanouissent.
La force des éléments
Minuit, quatrième nuit. Nous sommes à présent au fond de la vallée principale, au croisement avec deux vallées adjacentes, le tout formant un Y. Les vents glaciaux s’y contractent par effet venturi avant de s’abattre sur notre bivouac. – 25°C sous abside, des rafales au-delà de 90 km/h. L’ambiance sonore dans la tente est celle d’un moteur à réaction. Nous hurlons pour nous parler. Nous entendons, à l’extérieur, le vent ronfler, grossir dans les vallées puis venir frapper notre Hilleberg Nallo. La toile pourtant parfaitement tendue claque à chaque fois comme un coup de feu. Impossible de fermer l’oeil. Il faut rester éveillés. Se préparer à gérer le pire, la tente qui céderait malgré ses plus de vingt ancrages et ses arceaux doublés* … Au loin, gronde sourdement une avalanche. La toile crépite des millions de cristaux de neige glacée transportée par le vent. Sortir pour un petit besoin ? Inenvisageable, visibilité nulle, il faudra faire autrement. Les minutes passent et puis les heures, des éternités. Enfin vient le jour. La météo est formelle, la tempête se maintiendra deux jours encore avant que d’importantes chutes de neige ne prennent le relais. Passer le col verglacé par ce vent ? S’engager dans les vallées étroites avalancheuses ? La force des éléments a eu raison de notre projet initial, place au plan B.
La quiétude des géants
Le soleil inonde le paysage de sa teinte dorée et le décor de nos aventures nous semble aussitôt plus accueillant. Je suis toujours étonné par l’incidence de la lumière sur nos ressentis, mais il ne faut pas se laisser abuser; les conditions restent extrêmes. Faire fondre la neige dans l’abside, démonter la tente sous les assauts du vent sont des activités à haut risque, à réaliser concentrés. Trois heures plus tard nos pulkas glissent enfin, vent de dos, vers le bas de la vallée. Nous avons en effet décidé de redescendre où nous étions deux jours auparavant puis d’explorer le premier plateau en quête des boeufs musqués. Réintroduits dans les années 30, ces fascinants mammifères sont les vedettes du Parc National. Leur incroyable adaptation au climat arctique leur permet de vivre ici, malgré la météo, le froid et le manque de nourriture. Mais il ne faut pas trop compter sur leurs mouvements pour les repérer car leur survie n’est possible qu’au prix d’une activité très ralentie. Nous progressons lentement dans la toundra, scrutant les pentes voisines. Là ?! Non, ce n’est finalement qu’un des innombrables rochers sombres. En l’absence de repères il est impossible d’évaluer la taille de ce que nous voyons. Et le vent toujours fort trouble la vue, fait naître d’étranges mirages, donnant vie à quelques blocs de gneiss. Ce n’est qu’au terme d’une longue journée qu’apparaissent enfin trois silhouettes, immobiles. Alentours, la neige porte la trace de leur activité. Cent, deux cents mètres à peine parcourus aujourd’hui. Quelques mètres carrés de neige poussée du museau pour accéder à une végétation bien maigre. Pas de quoi rassasier les plus de trois cents kilos de ces grands mâles reconnaissables aux plaques cornées qui se rejoignent sur le front. Des cornes qui rappellent que derrière la placidité de ces herbivores se cache un (mauvais) caractère dont font régulièrement les frais quelques touristes trop insistants. C’est qu’être dérangé consomme de précieuses calories et se paie souvent au prix d’une vie qui ne passe pas l’hiver. Approcher lentement, sans brutalité mais sans pour autant se cacher pour ne pas leur faire penser à une attaque de prédateur. Respecter la centaine de mètre qui constitue la distance de tranquillité pour eux. Une attitude parfois frustrante mais un devoir moral et un gage de sécurité pour moi. Je suis subjugué par la puissance, la quiétude qui se dégage de ces géants à la longue toison sombre. Mais le temps passe. Simplement vêtu de ma tenue de ski, je sens le froid qui m’envahit. Il est temps de monter le dernier bivouac, se glisser dans le duvet Neo-thor, se laisser envahir par la chaleur, bercé par les images des hauts plateaux norvégiens et de leurs géants, rêver de retrouver un jour leurs frères tout là haut, dans le Haut-arctique canadien…
Informations pratiques
Créé en 1974 le Parc national de Dovrefjell-Sundasfjella a été agrandi en 2002 jusqu’à occuper l’essentiel du massif du Dovre. Situé à 62° de latitude Nord, il préserve des milieux naturels alpins à sub-arctiques, avec des paysages de toundra rase (lichens, …) et arbustive (bouleaux, trembles, …) ainsi que d’importantes tourbières.
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Faune
Le Parc abrite, en hiver, une faune rare et discrète. Si les boeufs musqués sont indéniablement les vedettes qu’un peu de patience – ou une sortie avec un guide local – vous permettra d’admirer, observer les autres espèces n’est imaginable qu’avec du temps, de la chance et un regard aiguisé. Les derniers rennes sauvages d’Europe vivent ici en compagnie de lièvres, d’une petite population de renards arctiques et de gloutons. Côté oiseaux, cherchez dans les petits bouleaux des vallées basses les mésanges (bleues, noires, charbonnières et lapones), les tarins des aulnes et sizerins. Mais une fois sur le plateau, seuls le lagopède alpin, le grand corbeau et le très discret aigle royal vous accompagneront.
Formalités
La Norvège est membre de la communauté européenne, une simple carte d’identité vous permet de vous y rendre si vous êtes ressortissant de l’UE. Situé hors zone euro, le pays conserve sa monnaie : la couronne norvégienne (NOK). L’allemannsretten – droit fondamental à pouvoir se déplacer à pied partout dans la nature, bivouaquer et se nourrir de baies, … – s’applique au coeur du Parc National mais il est important de consulter la réglementation spécifique mise en place pour protéger ces milieux naturels et la faune très fragiles.
Accès
L’arctique, à portée de train ! Le parc national est très facilement accessible par l’excellent réseau ferroviaire norvégien NSB, notamment par l’arrêt Dombås. Si l’été des navettes existent jusqu’aux portes du parc, il vous faudra, en hiver, prendre un taxi. Nous avons, pour notre part, fait le choix de passer une nuit au camp de Furuhaugli. Une excellente adresse pour mettre en place les derniers préparatifs, recueillir les informations de terrain des guides locaux, … et déguster une bière brassée sur place par Stein Pedersen, le chaleureux propriétaire passionné par sa nano-brasserie.
Quand y aller ?
Voyage réalisé fin février, à la fois pour bénéficier d’une durée de jour acceptable et éviter les redoux précoces toujours possibles en ces temps de changements climatiques.
Sécurité-santé
L’accès facile au Parc ne doit pas masquer la réalité de l’aventure. Sitôt sorti du camp, on est en zone arctique. Météo et froids extrêmes se conjuguent pour offrir des conditions qui peuvent rapidement tourner au cauchemar, voire pire. Les risques sont ici ceux régulièrement recensés dans les zones froides : Hypothermie, engelures. Leurs causes peuvent être un passage à l’eau sur une couche de glace trop fine, un abri qui s’envole ou une tente qui se déchire, … Tout doit être minutieusement préparé en amont : Itinéraire, plans B, évacuation, maîtrise des techniques de base de soins et survie au froid. Sur place tout doit être rassemblé pour affronter ces conditions : Matériel d’expédition, kits de réparation, moyens de communication, …
On peut rappeler qu’un des dangers majeurs en expédition froide est … le réchaud. Erreur de manipulation, tente qui prend feu, … Enfin rappelons que des accidents se produisent régulièrement avec les boeufs musqués approchés trop près. Leur force de frappe est évaluée à une tonne !
Avec qui partir, préparer son voyage
Voyage réalisé en autonomie.
A lire
Pas d’ouvrages connus en français sur la destination hormis le sublime ouvrage “Arctique” (éditions Kobalann) du photographe Vincent Munier qui rassemble quelques images de boeufs musqués prises au coeur du Parc National de Dovrefjell-Sunndasfjella.
Les éditions Nordeca publient deux cartes topographiques au 1:100000 qui couvrent l’ensemble du Parc (Dovrefjell Vest / Dovrefjell Øst) et une carte au 1:50000 centrée sur le sommet du Parc (Dovrefjell Snøhetta).
Reportages d’itinérances à pied, à la pagaie et à ski-pulka