Retour sur 3 jours de randonnée au Pays Dogon au Mali réalisé avec l'agence La Balaguère.
Le Pays Dogon
Le Pays Dogon est une région du Mali, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1989, qui s'étend de part et d'autre de la falaise de Bandiagara. On peut le diviser en trois zones distinctes :
- Le plateau, au relief accidenté, se compose essentiellement de tables de grès ferrugineux. Il est limité à l’ouest par le fleuve Niger et à l’est par la falaise.
- La falaise, la partie la plus touristique, concentre les plus beaux villages. Sa hauteur varie de 300 à 600 m.
- La plaine est une région sableuse où les Dogon sont présents depuis récemment. Bien qu’aride, elle bénéficie des eaux de ruissellement de la falaise.
Les Dogon sont arrivés sur la falaise de Bandiagara au XIV siècle depuis les montagnes de Manding près de Bamako pour échapper à l’islamisation. Cette falaise était alors habitée par les Tellem dont on rencontre encore les vestiges archéologiques.
Après une arrivée à l’aéroport de Mopti au petit matin, nous prenons la direction du cercle de Bandiagara. 70 km nous sépare de Sangha. 3 heures sur une route goudronnée jusque Bandiagara puis sur une piste jusqu’au village de Bongo dans la commune de Sangha.
Nous nous installons dans le gîte d’Ali Inogo Dolo, le maire de Sangha, et partons explorer le village de Bongo en compagnie de Moïse Témé, notre guide.
Je suis surpris de voir le paysage si vert. Arbres et champs d’oignons contrastent avec l’aridité ambiante. Moïse me confie que d’ici quelques semaines, tout aura bien changé. Le paysage, depuis le haut de la falaise sur la plaine du Séno-Gondo, est tout simplement ahurissant. Des cordons dunaires commencent à se former. Pour lutter contre la désertification galopante, les villageois plantent des euphorbes. Dans les champs d’oignons, ce sont les femmes qui sont au travail. Nous apprenons qu’elles travaillent pour se payer ce dont elles ont besoin. Le plus souvent, elles sont exploitées par leur créditeur qui leur impose ensuite des bas revenus. Pour lutter contre cette pratique, La Balaguère, par le biais de son réceptif local, a créé des micro-crédits sans intérêt.
Dès le premier jour, j’ai compris que le rapport à l’image est extrêmement délicat chez les Dogon si vous n’avez pas l’intention de monnayer votre cliché. Personnellement, je me refuse à payer une photo mais m’engage systématiquement à les envoyer si la personne le souhaite. J’ai reçu de nombreux refus, plus que partout ailleurs où j’ai voyagé. Mais qu’importe… puisque le voyage n’est pas dans les images qu’on ramène mais dans les rencontres réalisées.
Ceci étant dit, place au récit de ses trois jours de randonnée pédestre au pays Dogon.
Jour 1 : Bongo – Youga Piri
20 km 7h00Le soleil à peine levé, nous partons pour trois jours d’exploration pédestre au cœur du pays Dogon, peuple malien dont la simple évocation nous envahi d’images de brousse africaine et de greniers en toit de chaume.
Nous devons cette notoriété à Marcel Griaule, ethnologue français, qui découvrit la région en 1931. Il porta à la connaissance la cosmogonie Dogon suite à un entretien de trente-trois jours avec Ogotemmeli, un ancien Dogon. Je reviendrai sur certains de ces points au cours du récit.
Nous voilà donc entrain de monter sur le plateau de la falaise de Bandiagara. Aussi étrange que cela puisse paraître, la ville de Bandiagara n’est pas sur la falaise. On y donna son nom parce qu’elle est le chef-lieu du cercle de Bandiagara. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1989, la falaise est longue de 200 km.
Nous venons de quitter Bongo, un des 56 villages de la commune de Sangha. Sur le plateau, les arbres sont encore verts en ce mois de décembre. Nous traversons d’anciens champs de mil. En juin, les terrains seront à nouveau labourés. Les Dogon sont essentiellement agriculteurs. Outre le mil, le sorgho et l’oignon sont également cultivés.
Les herbes rases sont déjà jaunies par le soleil brulant. Dans quelques semaines, les arbres perdront leurs feuilles. Paysage bichromique en rouge et jaune. Les falaises de grès rougeoient au crépuscule comme les joues d’un enfant intimidé.
A Koundou Dâ, nous apercevons nos premiers greniers en toit de chaume qui symbolisent tant les Dogon. Des femmes pilent le mil pendant qu’un vieillard prépare des clôtures à base de seco, une plante sauvage qui pousse à proximité du village.
Les villages se succèdent : Kikinou, d’en haut puis Kikinou d’en Bas. Les villageois ont en grande partie quitté le village d’origine pour aller dans la plaine du Séno-Gondo. Il est plus facile d’y vivre car le puits y est plus proche. Pas besoin d’effectuer des allers-retours incessants et épuisants pour les femmes qui portent les vingt litres d’eau que contient une jarre.
Ici comme dans les villages précédents, les enfants sont nombreux. La démographie chez les Dogon ne cesse de progresser, ce qui n’est pas sans poser de problèmes. Tous les enfants ne vont pas à l’école car le besoin en main d’œuvre est bien réel. On les retrouve donc aussi dans les champs à aider les parents. Certains villages ont des écoles fondamentales (publiques) mais devant le grand nombre d’enfants à éduquer, l’Etat ne forme pas suffisamment de professeurs. Du coup, soit le village se cotise pour créer une école communautaire ou islamique, soit les enfants ne vont pas à l’école.
Encore trois kilomètres avant d’atteindre le village de Youga Nâh pour le repas du midi et la sieste. Mais, il reste à traverser les champs de mil et de sorgho. Pas d’ombre. 34 °C. Trois kilomètres. Presque un enfer. Le quotidien des Dogon. Et Moïse qui me dit : « c’est la saison froide en ce moment ».
En milieu d’après-midi, chacun se prépare au départ. Moïse montre du doigt le village de Youga Dogorou posé dans la plaine sableuse face à la falaise de Bandiagara. Je ne vois que de la roche de petites tâches vertes, les arbres.
Il n’y a pas de sentiers pour monter sur le plateau de ce petit massif montagneux ; du moins pas comme nous les connaissons dans les Alpes ou les Pyrénées. Ici, on monte dans la pente, on traverse des failles sur de petits ponts de pierre, on grimpe à même la roche ou on prend des escaliers aménagés par les Dogon. Et dire que les femmes prennent ce chemin avec une jarre remplie d’eau sur la tête ! Après Youga Dogorou, on emprunte même une échelle pour accéder à un rocher en surplomb.
Sur le plateau, tout est plus simple. A l’ouest, les rochers s’embrasent quelques instants avant que le soleil ne disparaisse derrière la falaise. Nous arrivons à Youga Piri. La nuit ne tarde pas à envahir le ciel. Les constellations délient les langues. Les langues bien pendues commandent la bière…
« La parole, c’est comme un chemin qui continue ». (Proverbe Dogon)
Jour 2 : Youga Piri – Yendouma Sogol
11 km 3h00Nous quittons le très beau village de Youga Piri pour reprendre pied sur la plaine. Nous passons à proximité de la table des divinations. Chaque village en possède une un peu à l’écart des habitations. Sur une surface de sable, le devin dispose des brindilles selon la question posée par le villageois et fait des offrandes de bouillie de mil et d’arachide. La nuit, le renard passe. Selon ses empreintes et le déplacement des brindilles, le devin interprète la réponse à la question et peut donner l’avenir.
Le paysage prend des allures de savane semi-désertique dans laquelle le sable prend de plus en plus de place. Nous grimpons une dunette toisée d’herbes folles.
Nous prenons vers l’ouest et suivons une piste sablonneuse pour le village de Yendouma Atô niché sous un monumental porche rocheux. Par de nombreux aspects, ce village illustre le riche mode de vie dogon, l'histoire de ce peuple, ses croyances. Pour beaucoup, Atô est considéré comme le plus beau village du pays Dogon.
Avant de venir sur la falaise de Bandiagara, j’avais en tête l’image de ces maisons coniques en toit de chaume. En réalité, ce sont des greniers qu’on appelle gè ou go. Ils sont construits généralement en pierre recouvert d’un crépi en banco. Ils sont fermés par une porte en bois sculptée.
Chaque quartier possède également sa case pour les femmes mentruées. Déclarées impures pendant cette période, les femmes doivent y rester entre elles. Les hommes n’ont pas le droit d’entrer dans la case.
Alaye Kene Atô, originaire du village de Yendouma Atô, est devenu dessinateur suite à un accident de fusil où il perdit un bras. Les peintures d'Alaye témoignent d'une grande originalité, peuplées de génies terrifiants et de scènes sacrificielles. C’est le seul artiste dogon à participer à des expositions d’arts africains en Europe et à avoir publié un livre en France.
A regret, nous quittons le village d’Atô pour rejoindre Yendouma Sogol par la plaine. Nous suivons une piste sablonneuse en compagnie de femmes se rendant au marché de Yendouma pour y vendre leur culture ou y acheter des condiments.
Installation au campement communautaire de Yendouma Sogol dans la partie basse du village. Comme cinq autres campements communautaires, celui-ci a été construit à l’initiative du réceptif local de La Balaguère et l’Harmattan Solidaire.
L’après-midi, c’est la découverte du marché de Yendouma Sogol. Sous les arbres nimes, les commerçants s’installent pour vendre leurs marchandises : noix de cola, viandes envahies de mouches, poissons, légumes et fruits mais aussi des produits de premières nécessités (sucre, lait, vêtement) et des beignets, boulettes de cézame, galettes de mil et autres condiments pour tenir la journée. Le marché est aussi un lieu de rencontre. On y vient pour prendre des nouvelles des autres villages. Son rôle social est primordial.
Pour la fin de journée, nous montons sur les hauteurs du village de Yengouma Sogol. Plus traditionnelle que la partie basse du village, elle est surtout l’occasion de partir à la rencontre des notables sous la case à palabres. Construite sur huit piliers en bois sculpté, la case à palabres ou toguna est le lieu de rencontre des anciens du village, uniquement des hommes. Les notables s’y réunissent pour discuter des affaires du village. Son toit est anormalement bas pour obliger les villageois à s’asseoir et éviter tout excès de colère.
A travers le discours des anciens, c’est une société patriarcale qui se dessine. Le Hogon, chef spirituel du village, en réalité le patriarche, n’existe plus à Yendouma Sogol pour le moment. Musulman, il a refusé de devenir le Hogon. Doucement, la société Dogon change et s’ouvre sur l’extérieur : d’autres religions, le commerce, les technologies, l’éducation…
A chaque village Dogon correspond un nom de famille. Ici à Yendouma, c’est Témé, Dolo à Sangha, Dara à Koundou, Doumbo à Youga, etc. C’est pratique pour savoir d’où vient votre interlocuteur.
La nuit venue, nous partons rejoindre notre emplacement pour la nuit. J’opte comme tous les soirs pour la terrasse. Il y fait moins chaud et le spectacle de la voie lactée y est chaque jour plus merveilleux.
« Si tu te maries avec une femme Bozo, tu mourras, et si tu te maries avec un femme Peulh, tu seras toujours pauvre. » (Proverbe Dogon)
Jour 3 : Yendouma Sogol – Bongo
17 km 4h30Notre escapade pédestre au pays Dogon prend fin aujourd’hui en rejoignant le village de Bongo sur la commune de Sangha. Nous suivons d’abord le bas de la falaise à travers les champs de mil et de sorgho avant d’atteindre Tiogou, autre beau village dont les habitations remontent quasiment jusqu’au sommet de la falaise.
A l’entrée du village, j’échange les salutations dogons avec un chasseur en partance :
Poï (Je vous salue)
Ou séo ? (Comment ça va ?)
Séo (ça va)
Guinni séo (et la famille, ça va ?)
Séo
Ounou séo (et les enfants, ça va ?)
Séo
Ôôô (Bien)
Les Dogon ont une vingtaine de dialectes différents. Celui-ci est de la région de Yendouma.
Les villageois de Tiogou sont essentiellement animistes, ce qui n’est plus le cas d’une grande partie des villages. La plupart des villages possède aujourd’hui sa mosquée, son église ou son temple et parfois les trois à la fois. Ali Inogo Dolo, maire de Sangha me dira au cours d’un échange « tout dogon est animiste. Un dogon ne fera jamais un bon musulman ou un bon chrétien ».
Plus on s’approche de Sangha, plus les sollicitations des enfants reprennent. « Madame un bic » demandent-ils en tendant la main. C’est un des effets pervers du tourisme. Il est impératif de ne pas succomber aux « petits cadeaux » aux enfants, aux bonbons, aux stylos et autres pièces de monnaie. Ce petit geste, s’il apporte bonne conscience aux touristes de passage, asservie l’enfant et prolonge le rapport douloureux de la colonisation. Il renforce les rapports de soumission et ne favorise pas l’esprit d’initiative. Ne rien donner aux enfants, c’est finalement mieux les respecter. Un sourire, une main tendue, quelques paroles valent tous les cadeaux du monde.
Dans le même ordre d’idée, il vaut mieux s’abstenir de tout soin. Un tel comportement remet en cause la solidarité dans les villages et l’existence des structures de santé existantes. Un petit hôpital existe à Sangha. Remettez-y vos médicaments. Le médecin en fera bon usage et invitez les villageois ayant besoin de soin à se rendre à l’hôpital.
L’Harmattan Solidaire, le réceptif local de la Balaguère et d’autres agences françaises, utilise 4% du prix d’un voyage (hors aérien) pour des projets de solidarité, ce qui représente une somme d’environ 10 000 € par an. A titre d’exemple, L’Harmattan Solidaire a financé la réalisation des six campements communautaires du pays Dogon, a mis en place un système de micro-crédits pour les femmes dans les villages de Bongo et de Dianmini Nah, prend en charge le salaire d’un instituteur à l’école de Yengouma Sogol ou des frais médicaux. Si l’agence locale ne se place pas en modèle, les projets restent appréciables pour les villageois concernés. Quand vous choisissez votre agence en France ou au Mali, pensez à demander si elle participe au financement de telles actions.
Ce soir, Moïse, me présente la cosmogonie dogon. Succinctement car elle est complexe. Amma est le créateur de toute chose. Il créa quatorze systèmes solaires aux planètes plates et circulaires. La terre fut la dernière à être conçue. Amma s’accoupla avec la terre et donna naissance à des jumeaux, de sexe féminin et masculin à chaque fois. Ogo, l’un des jumeaux, impatient eut la langue coupé par Amma qui le transforma ensuite en renard pâle. Pour garder un équilibre, Amma sacrifia l’autre jumeau, Nommo. Il lança le corps à l’exception des bras aux quatre coins de la terre. Ce sont aujourd’hui les points cardinaux. Le sang de Nommo donna naissance aux étoiles, aux animaux, aux plantes comestibles, etc. Ainsi naquit le monde selon les Dogons…
Dernière nuit sur la terrasse sous la voie lactée. Un petite pensée pour Amma et Nommo avant de fermer les volets et de rentrer sur Paris.
« Le bonheur ne s’acquiert pas, il ne réside pas dans les apparences, chacun d’entre-nous le construit à chaque instant de sa vie avec son cœur. » (Pensée Dogon)
Fondateur d’I-Trekkings et des blogs I-Voyages et My Wildlife, j’apprécie le rythme lent de la marche et des activités outdoor non motorisés pour découvrir des territoires montagneux et désertiques, observer la faune sauvage et rencontrer les populations locales. Je marche aussi bien seul, qu’entre amis ou avec des agences françaises ou locales. J’accompagne également des voyages photo animaliers qui associent le plaisir d’être dans la nature et l’apprentissage ou le perfectionnement de la photographie animalière.