Je reviens sur un voyage exceptionnel au Sahara. Je vous raconte ce voyage hors norme au coeur des Ajjers, aux confins du Sud algérien, à la frontière de la Libye, à une heure de train, quatre heures et demie de vol, dix minutes d’escale, une heure de contrôle militaire, une demi-journée de pause dans une oasis et plus de huit heures de piste chaotique de mon Jura familier …
Addrar N’Ajjers
A l’abri de maigres acacias j’observe le chamelier, son assistant et le cuistot se préparer. Les six dromadaires sont baraqués, les charges méticuleusement placées en équilibre. Les vivres s’entassent, impressionnants, malgré le mot d’ordre de simplicité alimentaire dont nous avions convenu. Pas de ravitaillement en route, un seul point d’eau. Chaque geste est précis, les mots rares. Et tandis que s’éloigne le véhicule tout terrain parti rejoindre l’oasis de Djanet, je me remémore les difficultés que j’eus à convaincre Jacques, de l’agence Tamera, d’organiser ce séjour. Il faut dire que partir seul avec l’équipe locale, trois semaines, dans l’Adrar N’Ajjers, une des zones les plus isolées du massif des Ajjers, dans le Sud algérien, n’est pas une demande des plus habituelles. Et le fait que mes compagnons de voyage ne parlent pas plus français que je ne parle arabe ni tamacheq, la langue des touareg, ne devrait pas simplifier les choses.
Quand la lumière tombe…
Une heure déjà que nous avons quitté le point de départ. Après un court raidillon, le sentier s’ouvre sur un paysage à couper le souffle. Un plateau infini d’ocres rouilles que ponctuent d’énigmatiques silhouettes volcaniques. Habitués aux plateaux gréseux du reste du massif que j’ai parcouru à plusieurs reprises mes pas foulent avec étonnement la cendre volcanique crissante qui couvre le sol. Nous sommes début janvier et la nuit nous force bientôt à planter le camp. Quelques maigres buissons occupent nos dromadaires tandis que la soupe chaude est vite avalée. Il est temps de s’installer pour la nuit. Je cherche un recoin à l’abri du vent froid. Dans le faisceau de ma frontale de fantomatiques formes s’agitent au sol. Des dizaines, des centaines de bestioles fuient la lumière et s’agitent en tous sens. Un peu plus de sept centimètres, quatre paires de pattes, un corps d’araignée doté d’une tête énorme que termine une pince disproportionnée … les biens nommés solifuges (qui fuient la lumière) s’agitent sous la voûte étoilée. Pas grand-chose à craindre de ces bestioles mais leur nombre est impressionnant et il faut bien la fatigue du voyage pour me plonger dans un sommeil sans arrière pensée.
Peur du vide
Cinquième jour. Nous quittons le massif volcanique, laissant derrière nous la silhouette péléenne d’un géant qui domine le paysage et le sol constellé des bombes volcaniques qu’il projeta alentours. Le vent souffle fort et lève un voile orangé qui rajoute à l’aspect dramatique du décor, quasi exclusivement minéral. Le sable s’insinue partout et cet inconfort mêlé au froid vif du plateau situé à plus de 1700m d’altitude semble aiguillonner la caravane qui redouble de vitesse.
Ce rythme, hypnotique, nous conduit bientôt aux confins du massif volcanique, jusqu’à atteindre un belvédère à couper le souffle. Devant nous s’ouvrent les grès des tassilis sculptés par les pluies et les vents. Un immense dédale de sable et de roche, à perte de vue, … à perdre la raison. Je mesure quelques brèves secondes ce que peuvent être les affres des agoraphobes devant cet espace. Une immensité et une vacuité qui nous ramène à notre vraie dimension : minuscule. Minuscule, fragile et dont la vie ne tient qu’à un fil … celui de la caravane, celui de six dromadaires, quatre hommes et de leurs connaissances héritées d’un apprentissage multimillénaire du désert.
Ihria, guide Kel Ajjers
De lui je ne sais que quelques détails glanés auprès du chauffeur qui nous déposa le premier jour. Son nom est Ihria. Touareg de la tribu Kel Ajjers. Son enfance, il la passa ici, à nomadiser dans l’Adrar, avant de fonder une famille non loin de Djanet, la grande oasis. Il ne parle pas français et pourtant chaque jour nous échangeons, apprenons à nous connaître. Derrière ses silences, ses gestes mesurés et ce chèche qui lui voile la bouche j’ai appris à lire la sagesse d’un homme mûr. Derrière sa façon de me saisir doucement au coude j’ai appris son goût pour le partage des connaissances, de la science des plantes sauvages et de leurs usages thérapeutiques traditionnels qu’il me signifie en me montrant tout à la fois la plante et la partie du corps concernée. Derrière le plissement de ses yeux j’ai percé son caractère facétieux qui s’amuse, gentiment, à tester la résistance de ce “client” qui prétend expérimenter la vie saharienne sans passe droit. Les jours passent et je devine en lui l’étonnement de me voir manger quotidiennement sans sourciller la même chorba, cette soupe traditionnelle d’un brouet clair agrémentée de pain de semoule cuit dans le sable. Et je pense même avoir gagné quelques galons à partager autour du feu ces brochettes de foie d’une chèvre achetée à un nomade croisé en chemin…
Gazelles et girafes
Je dois admettre, sans fausse modestie, un don ou plutôt une capacité développée avec l’expérience à repérer la faune sauvage la plus discrète de mon Jura familier. Mais ici, je peine ! Et j’observe avec admiration Ihria indiquant ce lièvre du désert tapis derrière une touffe d’herbe, ce minuscule fennec détalant au loin, cet agame se dorant au soleil.
A chaque pause, quand la chaleur n’est pas trop accablante, je grimpe avec lui sur le promontoire le plus proche et scrute les farouches mouflons à manchettes et gazelles dorcas. Il faut dire que cette partie du désert est riche, vivante. Isolé, éloigné de tout accès automobile, l’Adrar abrite des trésors de vie sauvage et nous croisons parfois les traces du rarissime guépard du Sahara. Ce sublime et discret félin est sans doute, avec quelques hyènes errantes, la toute dernière relique d’une époque où des fleuves coulaient ici, abreuvant de grands troupeaux d’herbivores. Et à ceux qui douteraient de cette hypothèse, les peintures et gravures pariétales de girafes que nous trouvons sous les encorbellements rocheux apportent une preuve irréfutable.
Des grands canyons …
Quinzième jour, 6h30. La nuit fut courte et les discussions se sont prolongées tard dans l’Ikabert – la chaumière touarègue aux murs des roseaux -. Notre arrivée dans cette famille nomade fut l’occasion de partager les nouvelles, le thé puis le couscous. Mais pour Amoumen, notre chamelier et Ibrahim son apprenti, tout comme pour Moulaï, le cuistot, qui se lèvent une heure avant moi cette nuit courte se conjugue avec les longues journées de marches de 7 à 9 heures que nous enchaînons depuis le début.
A cette fatigue s’ajoute une tension. Celle d’une journée qui marque un tournant dans notre voyage puisque notre chemin devra nous faire franchir les grands canyons pour redescendre, en cinq jours, dans la plaine où s’achèvera le périple. Cinq journées extraordinaires nous attendent. Cinq jours au cours desquels il nous faudra marcher sur des terrains pierreux, pentus, difficiles pour les dromadaires malhabiles et lourdement chargés. Cinq interminables journées au cours desquels nous devrons, parfois, débâter pour franchir des gorges trop étroites, passer sur des sentiers à peine dessinés, déplacer des cailloux trop gros pour que la caravane passe. De longues journées, commençant au petit jour et s’achevant parfois à la nuit tombée dans des décors prodigieux où les dunes grimpent à l’assaut des reliefs sous l’effet des vents violents.
… à la vallée des monuments
La nuit tombe doucement. Le ciel s’embrase de teintes rose-orangées. J’ai installé mon matelas dans une niche de la falaise qui surplombe la grande plaine. Au dessus de moi, un hibou ascalaphe entonne son hou-hou grave et sonore. La nuit lui appartient et il s’apprête à partir chasser dans le décor exceptionnel de ces arches, de ces chandelles de grès digne de décors nord-américains que je vais bientôt quitter, non sans un réel pincement …
Informations pratiques
Ce voyage a eté réalisé en 2011. Tamera renoue avec les Ajjers peu à peu mais cette partie reste encore difficile à envisager du fait de son isolement.
Formalités
Le passeport est obligatoire, il doit être valide 6 mois après le départ. Un visa touristique est également obligatoire. Veuillez-vous rapprocher des consulats d’Algérie en France pour vérifier les formalités et les faire. Pas de formalités de santé obligatoire à ce jour.
Accès
L’accès est possible par un vol international Paris (ou province) – Alger, suivi d’un vol interne à destination de Djanet. S’ensuit une petite journée de route via Bordj el Haouas (Fort Gardel). Pour trouvez votre billet d’avion, utilisez notre comparateur de vols.
Sécurité-santé
La présence de groupes armés, dits islamistes, dans la région saharienne fait peser une menace sur les visiteurs qu’il convient de ne pas prendre à la légère. Il est impératif de prendre connaissance des conseils aux voyageurs du quai d’Orsay, de s’appuyer sur une agence dont les réseaux locaux et la connaissance de terrain vous permettront de prendre la décision de partir … ou pas. Pour ma part, sur place, la présence des contrôles routiers, l’absence de tension avec la population tant au désert comme à Djanet ne m’a jamais fait sentir en danger.
Côté santé, les conditions de chaleur imposent d’être vigilant avec les coups de chaleur et de bien veiller à s”hydrater avec de l’eau bouillie ou traitée. Des dosettes de sérum physiologique permettront de soigner les yeux irrités par le sable. A la fin du voyage, ne pas hésiter à remettre ses médicaments non utilisés aux dispensaires locaux globalement mal équipés.
Avec qui partir, préparer son voyage
Ce circuit a été réalisé avec Tamera dont on ne peut que conseiller le sérieux. Le Sahara est le cœur de métier historique de l’agence qui s’appuie sur des partenaires de longue date, à la fiabilité irréprochable.
A lire
Les ouvrages suivants seront d’une excellente lecture en préparation de votre séjour :
- Guide Sahara – collection Guide bleu évasion édité par Hachette présente de façon richement illustrée une vision panoramique de la zone arienne.
- L’éditeur Ibis presse propose de passionnants ouvrages de botanique sur le pays tels l’indispensable Fleurs du Sahara, voyage ethnobotanique avec les Touaregs du Tassili ( Benchelah , Bouziane, Maka, Ouahès)
- Guides Faune du Sahara T1 & T2 – 1989 – Terres Africaines – Lechevallier & Chabaud. Ces ouvrages, hélas épuisés, sont les seuls ouvrages de référence sur la faune saharienne et se trouvent parfois d’occasion.
- Pour aborder (survoler) la culture touarègue, l’ouvrage “Touaregs : Apprivoiser le désert” de Hélène Claudot-Hawad, édité par Gallimard aux collections découvertes est une intéressante entrée en matière.
- Les amateurs de recits de voyage et d’aventure liront quant à eux, liront avec bonheur “A la découverte des fresques du Tassili“, d’Henri Lhote, édité chez Arthaud.
- Ceux qui ont apprécié mon récit et ses illustrations retrouveront mon portfolio auto-édité chez Blurb
Environnement
Les infrastructures restent faible au désert et dans les oasis et celles de traitement des déchets quasi inexistantes. Avec des sites très isolés et des ressources naturelles très fragiles, l’impact de l’activité touristique peut être catastrophique. Il va sans dire que tout déchet amené ici devrait être ramené jusqu’à un endroit où son traitement est assuré dans de bonnes conditions, c’est à dire Alger ou la France !
Ici plus qu’ailleurs la question du passage au petit coin mérite quelques précautions. Les WC publics, quand il y en a, ne font guère envie. Le passage dans la nature s’impose souvent. Mais avec une telle chaleur, ne comptez pas sur les bactéries pour effacer vos traces. Brûler son papier et enterrer le reste dans un trou d’une trentaine de centimètres est un minimum pour éviter la propagation de maladies. Pour ceux que le sujet intéresse, je conseille toujours la très saine lecture de Comment chier dans les bois : Pour une approche environnementale d’un art perdu. édité chez Edimontagne, 2001.
Reportages d’itinérances à pied, à la pagaie et à ski-pulka