Savez-vous quel est le point commun entre la pointe du Raz, la baie de Somme, le Puy de Dôme et le cirque de Sixt fer à cheval ? Ces sites, et quelques autres, ont bénéficié des toutes premières lois* de protection de la “nature”. Une protection qui nous a transmis ces joyaux vierges de toute dégradation majeure mais qui, paradoxalement, a provoqué un afflux toujours croissant de visiteurs. Une des meilleures manières de profiter de ces sites est de s’y rendre hors saison et de quitter les sentiers battus. C’est ce que nous avons eu la chance de faire lors d’une superbe traversée de Sixt-fer-à-cheval à Samoëns par le refuge de la Vogealle. Voici le récit de cette randonnée dans le Haut-Giffre.
* en particulier celle de 1930
De Sixt-fer-à-cheval au refuge de la Vogealle
+ 960 m / – 160 m 10 kmNous sommes début septembre, en région Auvergne-Rhône-Alpes, en Haute-Savoie. Les sommets du cirque de Sixt-fer-à-cheval jouent à cache-cache derrière un voile de brumes. C’est précisément ce paysage, immense cirque calcaire que dévalent des dizaines de cascades, qui attire les visiteurs toujours plus nombreux. Avant de nous mettre en route, nous écoutons Matthieu, chargé de la préservation de ce Grand Site, nous dévoiler les enjeux du territoire. “Comment éviter que cette fréquentation, toujours plus importante, ne finisse par dégrader le site, comment offrir au public une expérience de la montagne autre qu’un immense embouteillage …”. Le défi à relever est immense et nécessitera que chacun, élus, professionnels et visiteurs assume ses responsabilités et accepte quelques compromis. Les réalisations en cours – et notamment la mise en place de navettes de transports en commun – me donnent de l’espoir. La montagne retrouvera sans doute prochainement le silence, et peut-être que mon itinéraire sera bientôt possible sans voiture …
Agnieszka, notre guide pour cette itinérance, interrompt nos échanges. La météo prévoit des orages pour l’après-midi et il est temps de se mettre en route pour notre randonnée dans le Haut-Giffre, de Sixt-fer-à-cheval à Samoëns. Jusqu’au lieu-dit le “Bout du monde”, l’itinéraire est en fond de vallée, facile, et laisse largement place à la contemplation. Malgré les nuages toujours nombreux, le panorama se dévoile, grandiose. Le pic de Tenneverge et le Grand Ruan offrent leurs faces rocheuses qui dominent de 2000 mètres le fond de vallée. La verticalité est la composante majeure de ce décor. Mais une verticalité qui laisse une large place à l’eau. Les cascades sont innombrables. Certaines naissent dans les hauteurs, des glaciers du Ruan et de Prazon. D’autres apparaissent à mi-pente, résurgences d’on ne sait quelles mystérieuses rivières karstiques souterraines.
Le sentier prend un peu de hauteur et pénètre dans une forêt séculaire. Hêtres et érables y ont des formes tortueuses, modelées par la pente et la pression de la neige en hiver. En ce début septembre, les arbres ont encore toutes leurs feuilles et créent une pénombre renforcée par le temps couvert. Nos autres sens se mettent en éveil, nous avançons dans une ambiance olfactive d’humus et de sous-bois moussu, nous prêtons l’oreille aux cris proches de la sitelle et du pic noir, aux croassements lointains des grands corbeaux. Le paysage s’ouvre à nouveau vers le chalet du Boret. Nous y marquons une brève pause avant d’attaquer les choses sérieuses. Le ciel noircit à vue d’œil et il s’agit de ne pas se faire surprendre par l’orage dans la falaise qui se dresse devant nous. Le sentier dessine un parcours profitant de chaque faiblesse dans l’à pic de 600m. Agnieszka donne le tempo, entre 550 et 650 m+/h. La veste imperméable devient vite une étuve et ni les ouvertures sous les bras, ni le col grand ouvert ne parviennent à nous rafraîchir. A vrai dire, seule la dégustation d’une IPA de la fameuse brasserie de la vallée du Giffre au refuge parviendra à nous faire descendre en température. Dans le confort de la salle commune, nous savourons le spectacle du déluge qui s’abat dans un grondement de tonnerre …
Du refuge de la Vogealle à Samoëns
+ 530 m / – 1560 m 12 kmC’est sous un ciel bleu éclatant que nous démarrons notre seconde journée de notre randonnée dans le Haut-Giffre, de Sixt-fer-à-cheval à Samoëns. Le sentier s’élève doucement au-dessus du refuge avant d’atteindre le lac de la Vogealle. Ses eaux étincellent sous le soleil, joyau enchâssé entre les sommets des Dents blanches. Un bon “coup de cul” de près de 300m nous sépare de la combe aux Puaires. Et c’est là un tout autre paysage qui s’ouvre devant nos yeux. Le calcaire, blanc éclatant, a été mis à nu au fil des millénaires par les intempéries, l’eau y a tracé d’incroyables rigoles, de profondes crevasses. Nous progressons dans ce lapiaz qui s’étend à perte de vue. Il nous faut rester attentif pour suivre l’itinéraire à peine marqué de quelques vieux traits de peintures et de cairns se fondant dans le décor. De dalles lisses en arêtes vives, nous zigzagons en évitant prudemment quelques profondes crevasses et comprenons alors mieux la mention “itinéraire dangereux par mauvais temps” qui figurait sur la carte au mur du refuge.
Un couple de grands corbeaux passe au-dessus de nos têtes avec un croassement guttural, effectue quelques passages à bonne distance comme pour mieux vérifier qui sont ces visiteurs inhabituels. Il faut dire que nous sommes bien seuls sur cet itinéraire. La plupart de nos camarades de refuge s’arrêtaient au lac, tandis que quelques autres poursuivaient sur le classique tour des Dents blanches ou rejoignaient le refuge de Folly par le pas à l’Ours et le lac de Chambre. C’est d’ailleurs à ce refuge que nous les retrouvons, après une looooongue descente. Quelques diots, accompagnés d’un farcement savoyard accompagnent nos échanges autour de la table. Nous savourons ce repas pris sur la terrasse avec une vue unique sur les Dents d’Oddaz avant d’attaquer la descente finale. Le sentier, en sous bois, nous permet de rejoindre sans difficulté les Allamands (Samoëns) où s’organise notre navette jusqu’à Sixt. Les cuisses grillées par les cinq cents mètres de grimpée et 1560m de descente de la journée, mais la tête pleine des paysages uniques qu’offre cette sublime vallée de Sixt-Fer-à-Cheval et ses environs nous quittons Agnieszka, notre guide, en évoquant déjà nos futurs parcours d’itinérance dans la région.
Carnet pratique pour cette Randonnée dans le Haut-Giffre
Quand effectuer cette randonnée dans le Haut-Giffre, de Sixt-Fer-à-Cheval à Samoëns ?
Avec des pentes très avalancheuses et la présence de lapiaz susceptibles d’être dangereux en présence de névés, cet itinéraire, exigeant, ne doit s’envisager qu’à la belle saison et par beau temps.
Comment y aller ?
Malheureusement l’itinéraire n’est que très difficilement accessible en transports en communs. Par la route, on accède à Sixt-Fer-à-Cheval par l’autoroute A40 (sortie Cluses) puis les D4 jusqu’à Samoëns et D907 pour Sixt. Pour réduire son impact et limiter les effets d’engorgement des vallées il est conseillé de laisser sa voiture sur place et d’utiliser les navettes et taxis disponibles.
Où dormir ?
L’itinéraire a été réalisé en passant la nuit précédant la randonnée au camping Le Pelly. Des “mountain adventure tents” toutes équipées permettent d’y dormir sans emmener ni matelas ni duvet. Sur l’itinéraire, nous avons passé la nuit au refuge de la Vogealle, refuge moderne et confortable offrant de petits dortoirs calmes et une salle commune conviviale. Le bivouac est autorisé à proximité immédiate du refuge. Mention particulière pour le refuge de Folly où nous avons déjeuné le dernier jour. Repas généreux et gourmand qui mérite de s’y arrêter.
Quelles difficultés ?
Passé par l’évaluation IBP Index, l’itinéraire ressort coté très difficile. S’il n’est pas technique, il enchaîne près de 1000m de dénivelés positifs le premier jour, 500m le second et une descente de près de 1600m. Ajoutez à cela quelques passages inconfortables pour les personnes les plus sujettes à la peur du vide et un terrain difficile (lapiaz, descentes herbeuses et glissantes). A entreprendre bien entraîné-e-s et, accompagné d’un guide de montagne pour les personnes n’ayant pas le pied montagnard.
Quel équipement prévoir ?
Le traditionnel système trois couches vous permettra de vous adapter aux variations météo. Des chaussures tiges hautes, avec une bonne semelle, sont conseillées en raison du terrain.
Réduire son impact environnemental ?
L’essentiel du tracé se déroule au sein de la réserve naturelle de Sixt-Fer-à-Cheval. Rester discret, ne pas cueillir la flore sauvage, ramener ses déchets – et ceux trouvés en chemin -, ne pas faire de feux sont des règles de base pour profiter durablement de la nature. Il est important de rester sur les chemins pour préserver la quiétude de la faune, ne pas couper les lacets pour limiter l’érosion.
De Sixt-Fer-à-Cheval à Samoëns avec un chien ?
L’itinéraire, en réserve naturelle, est interdit aux chiens. Moins de 1% du territoire national bénéficie d’un tel statut de protection. De nombreux autres itinéraires se prêtent parfaitement à la randonnée avec son compagnon à quatre pattes. Vous vous posez des questions sur ce qu’il faut savoir pour randonner avec son chien. Lisez notre article sur ce sujet.
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Reportages d’itinérances à pied, à la pagaie et à ski-pulka