Les deux moteurs arrachent le Twin Otter à l’atmosphère étouffante de la piste de Nepalgunj (Népal). L’avion de la Yeti airlines s’élève rapidement, laissant derrière lui les plaines du Teraï noyées sous la mousson. Est-ce l’effort ou la condensation de cet air humide dans le cockpit qui goutte au front des pilotes ? Arcboutés sur le manche, plein gaz, ils malmènent l’engin jusqu’à obtenir de lui qu’il passe ce col qui ouvre la voie vers l’aérodrome de Juphal, porte du Dolpo… Pour I-trekkings, Henri revient sur ce voyage au cœur de ce qui demeure une des terres les plus mystérieuse de l’Himalaya.
Dans le vacarme de la Tarap kohla
La nuit est tombée sur le bivouac. Avec la fatigue du voyage et de cette journée de marche mes yeux se ferment. Dans un demi-sommeil se mêle le souvenir du fracas de l’atterrissage du Twin otter sur la piste de terre avec le vacarme du torrent, la Tarap kohla. Et bientôt ce fondu-enchaîné sonore me plonge dans un sommeil réparateur.
De mon sac de couchage, j’entends les premiers préparatifs du matin. Le torrent absorbe les sons et seuls les bruits métalliques et aigus me parviennent. Cliquetis de selles, tintinnabulements des clochettes de nos six chevaux de bas. « Tea sir ? » La voix de Basanta, mon guide, m’extirpe définitivement du sommeil. Je sors de la tente pour découvrir la profonde vallée toujours noyée dans la pénombre. Dans l’aube humide et fraîche, le petit déjeuner est vite avalé comme si l’envie de gagner le calme du sentier en balcon au-dessus de la rivière gagnait sur la beauté des lieux.
En Himalaya, l’homme a su mettre à profit le travail d’érosion des cours d’eau pour se tailler des chemins vers les cimes. Et les dolpas, le peuple qui vit au Dolpo, n’ont pas dérogé à la règle en dessinant ici un impressionnant chemin. Impressionnant par sa capacité à user de chaque corniche, de chaque gué, impressionnant par sa propension à jouer avec le vide. Pour l’heure, mes yeux sont rivés au sentier pour éviter le faux pas et seuls quelques singes langurs jouant dans les cèdres m’arrachent à ma concentration.
L’intimité des dolpas
Voici déjà quatre jours que notre petite caravane – composée du guide, d’un cuisinier et d’un « horseman » et de moi-même – avance. Partis d’environ 2000m d’altitude nous atteindrons le plateau ce soir. Aux forêts humides des premiers jours ont bientôt succédé les cédraies odorantes se clairsemant au fil de notre progression jusqu’à devenir prairies. La vallée de la Tarap s’ouvre peu à peu, le torrent tumultueux redevient ruisseau puis voici Dho. Ce village abrite durant l’été une communauté d’éleveurs et accueille quelques caravanes. Un chorten monumental marque l’entrée du village et, non loin, je trouve place chez l’habitant pour m’installer deux-trois jours. Deux ou trois jours pour m’imprégner de l’intimité des dolpas, deux, trois jours pour parfaire ici, à 4000m, mon acclimatation avant d’attaquer les hauts cols.
La chambre est spartiate. Sol de terre battue, plafond composé d’un entrelacs de branchages enduit de cette même argile qui habille les murs. Un matelas posé sur un coffre et quelques sacs de grain en guise de table de chevet composent le mobilier. Une minuscule ouverture dans le mur laisse passer la lumière ainsi que l’air frais extérieur … il n’y a pas de fenêtre. Nul doute, nous ne sommes pas ici sur les grands itinéraires de trek et les standards des lodges tout confort ne se sont pas imposés; tant mieux ! Dehors la pluie de la mousson qui a inhabituellement percé la barrière himalayenne fait rage. Je n’en savoure que plus le confort de ma situation.
Je profite des accalmies pour prendre un peu de hauteur. 4500m, le souffle est court, mais d’ici j’embrasse le village au carrefour des chemins du Mustang ou du Haut Dolpo. Les femmes s’activent dans les champs d’orge, des enfants jouent dans le ruisseau et partout, alentours, les yacks ponctuent de noir et blanc le vert des collines.
Caravanes dans les cieux
[…] Voici quelques heures que j’ai quitté Shipchhok gompa, non loin de Dho. Dans la vaste vallée qui s’ouvre devant ce monastère bön campent et se mêlent des centaines de tibétains dolpa, lopa (habitant du Mustang), bothia (habitants des vallées de Naar et Phu ) … venus assister aux pujas d’un grand maître de méditation. Si la religion bön est souvent décrite comme une religion préexistante au bouddhisme elle est, en réalité, bien plus un synchrétisme mêlant divinations, croyances populaire et bouddhisme Nyimgma. Et cette capacité à accueillir, à intégrer les croyances diverses assemble les hommes, ici, à plus de 4000m.Il faut à présent quitter cette quiétude et prendre la piste du Haut-Dolpo. Des caravanes de yacks, lourdement chargées, empruntent, comme nous, le très raide sentier qui s’élève vers les cols de Numa La (5190m) et Baga La (5070m). Sous les averses de la mousson qui redouble d’intensité et se transforme parfois en flocons de neige nous courbons l’échine. Le souffle court, les jambes raides nous gagnons mètre après mètre. C’est dans les nuages à présent que nous progressons comme gravissant les cieux quand enfin apparaît ce second col. C’est au cri de Kiki soso lagyalo (« les dieux sont vainqueurs, les démons sont vaincus »), que se ponctue notre arrivée au sommet. Dans une éclaircie apparaît au loin un gypaëte tandis que le vent glacial bouscule les corolles des pavots bleus et fait claquer les drapeaux à prière.
Phoksundo, cœur turquoise
[…] La redescente du col est rapide. Parvenus à 3600m nous retrouvons quelques genévriers et quelques pins tandis que le sentier flirte avec le vide au-dessus d’extraordinaires chutes d’eau. Nous remontons ce cours d’eau en rive gauche car c’est lui qui nous conduira au terme d’une journée de plus de dix heures au cœur du Dolpo. Un cœur turquoise, couleur des gemmes qui composent les bijoux des tibétaines. Un cœur d’eaux dans ce paysage de roche, un immense lac aux couleurs irréelles qui abrite la vie.La nuit tombe, le sentier s’estompe quand enfin voici le monastère bön et le village de Ringmo. J’y passerai trois jours parmi les moines et les villageois tentant de m’imprégner de cette sérénité, de cette beauté qui avant moi fascina l’écrivain Peter Matthiessen et le réalisateur Eric Valli qui tourna ici quelques scènes d’Himalaya, l’enfance d’un chef. Trois jours hors du temps, à la fois nulle part et au cœur de l’essentiel. Trois jours … avant qu’il ne faille redescendre la vallée et renouer avec le vacarme de la rivière Suligad … fondu enchaîné sur le fracas des moteurs du Twin otter… Kathmandou.
Informations pratiques
Accès
Accès par vol international direct Paris – Kathmandou ou via Dubaï ou Dehli. Suivi de deux vols internes Kathmandou – Nepalgunj puis Nepalgunj – Juphal. Opportunisme médiatique ou principe de précaution justifié, chacun se fera son opinion mais il faut savoir que certaines agences ne font plus transiter leur clientèle via Juphal suite au crash aérien de février dernier.
Sécurité-santé
L’extrême isolement et le passage par des cols situés à plus de 5000m imposent d’être conscient des risques de mal aigu des montagne. Un passage par un centre de médecine de montagne préalablement à votre voyage est un plus pour connaître vos prédispositions et discuter avec un professionnel formé à ces questions.
Pour le reste , bien qu’il n’y ait pas de contrainte vaccinale particulière il est toujours intéressant d’interroger votre centre de maladie tropicales le plus proche afin de faire le point sur vos vaccins ainsi que sur l’évolution des épidémies de rage, méningite … présentent parfois dans le pays. A la fin du voyage, ne pas hésiter à remettre ses médicaments non utilisés aux dispensaires locaux globalement dépourvus de tout.
Niveau
Modéré à difficile du fait de passages de haut cols, du caractère parfois impressionnant des sentiers et de l’absence d’infrastructures d’hébergements.
Avec qui partir, préparer son voyage
Ce circuit a été réalisé avec Tamera dont l’équipe réunit toute l’expérience et le professionnalisme nécessaires à la préparation de ce voyage d’exception.
Lecture
Les ouvrages suivants seront d’une excellente lecture en préparation de votre séjour :
- « Le leopard des neige » de Peter Matthiessen . Un incontournable de la littérature des années 70. Entre aventure scientifique, mystique et trekking.
- « Trekking in the Nepal Himalayas », Lonely planet. Pour préparer son séjour tant sur les aspects trekking que visites culturelles.
- Portfolio “Dolpo, cœur turquoise” édité chez Blurb. Pour continuer le voyage…
- Guide “Birds of the Indian Subcontinent” Richard Grimmett, Carol Inskipp, Tim Inskipp – 2012 – Editions Helm – Pour les amoureux d’oiseaux, un guide à amener à chacun de ses voyage sur le sous-continent indien.
Formalités
Le passeport est obligatoire, il doit être valide 6 mois après le départ. Un visa touristique est également obligatoire. Les formalités sont réalisables auprès du consulat du Népal en France ou très facilement directement sur place à l’aéroport de Kathmandou.
Environnement
Le Népal est l’un des pays les plus pauvres de la planète ; les infrastructures sont faibles et celles de traitement des déchets quasi inexistantes. Des quantités importantes de bouteilles plastiques envahissent les villes et leurs alentours, tandis que les sodas gagnent jusqu’aux zones les plus isolées. L’impact de l’activité touristique n’est pas nul. Il va sans dire que tout déchet amené ici devrait être ramené jusqu’à un endroit où son traitement est assuré dans de bonnes conditions, c’est-à-dire pour nous… en France ! Au-delà de cet aspect, soulignons que le trekker véhicule les modèles de consommation occidentales, marquant la population d’habitudes parfois bien fâcheuses. Une eau traitée sera tout aussi saine que celle de bouteilles plastiques ayant longuement séjourné au soleil.
Enfin, au chapitre du passage au petit coin, souvenez-vous que les peuples tibétains ont inventé les toilettes sèches il y a de nombreux siècles. Les toilettes à eau sont ici une ineptie. Les eaux usées ne connaissent aucun traitement, polluent les milieux naturels et véhiculent des maladies. Dans la nature brûler son papier et enterrer le reste dans un trou d’une trentaine de centimètres est fortement conseillé. Pour ceux que le sujet intéresse, je conseille la très saine lecture de « Comment chier dans les bois : Pour une approche environnementale d’un art perdu. » édité chez Edimontagne, 2001.
Reportages d’itinérances à pied, à la pagaie et à ski-pulka