Fin octobre, sud de la Corse, plage de Stagnolu. Une dizaine de kayak de mer reposent sur le lit de posidonies si caractéristique des littoraux méditerranéens préservés. Autour des navires, chacun s'affaire à organiser son paquetage, glisser l’équipement commun dans les caissons étanches, répartir la nourriture. Régulièrement les regards glissent vers le Sud. Là-bas, loin derrière l'horizon, se trouve la côte sarde, celle-là même que nous allons tenter d'atteindre à la pagaie.
Bonifaccio la blanche
Nous sommes rôdés, les préparatifs sont rapides et j'en profite pour grappiller quelques arbouses dans le maquis voisin avant d'embarquer. Les baies orangées, légèrement farineuses, laissent un agréable goût acidulé-sucré. La mer est calme, le vent presque nul, nous naviguons au plus près du littoral pour saisir chaque détail de cette côte qui se transforme au fur et à mesure de notre progression. Les schistes sombres, assemblés en millefeuilles, laissent peu à peu le pas à un calcaire d'une blancheur aveuglante. Dans le même temps la côte s’élève. Les rochers se font falaises, des falaises dominées par les remparts de Bonifaccio.
Ici, les « yeux ne savent où donner de la tête ». Le turquoise des eaux, le bleu intense du ciel, le blanc de la roche, le noir iridescent du plumage des cormorans huppés, le vert du maquis nous percutent de leur intensité. Nous sommes seuls sur l'eau, et cette quiétude rajoute au plaisir généré par cette beauté.
Mais trêve de rêveries, la houle se lève et il nous reste encore du chemin. Ce n'est qu'à la nuit tombante que nous rejoignons notre premier bivouac, sur la plage de Piantarella. Dans l'étang voisin, les rainettes sardes, ces minuscules grenouilles arboricoles, tentent quelques chants hors saison que nous n'entendons bientôt plus, terrassés par la fatigue.
Six heures trente. Le soleil n'est pas encore levé et dans la fraîcheur humide de ce matin d'automne nous plions les tentes. Sur les réchauds protégés du petit vent léger, le café finit de couler, le thé d'infuser. Chacun attend la sentence de la sacro-sainte météo. « C'est correct, on le tente ! ». Par cette simple phrase Jérémie, notre guide, finit de réveiller le groupe. Sur les visages se lit le soulagement de ceux qui veulent en découdre, de ceux qui l'ont « déjà fait », l’inquiétude des moins aguerris, des moins costauds. Car il faut bien l'admettre, sans être un exploit, la traversée de la Corse vers la Sardaigne ne fait pas partie des navigations où l'on s'engage à la légère. Tout d'abord à cause d'une belle distance d'une vingtaine de kilomètres de pleine mer et d'un courant de surface, le Ligure. Mais aussi parce qu'il n'y a pas beaucoup de « réchappe » comme on dit, entre pagayeurs. Autrement dit, pas de plan B en cas de coup de fatigue, pas d'abri de proximité en cas de pépin.
Mais pour le moment c'est cap sur l'archipel des Lavezzi qui accueillera notre seule pause à terre de la journée. Un archipel qui est vite atteint et où nous prenons plaisir à flâner un peu. Il faut dire que les eaux translucides, les plages immaculées et les blocs de granit polis par le temps constituent un terrain de jeu absolument merveilleux pour le kayak qui pénètre là où les autres bateaux s'échoueraient, navigue là où le piéton perdrait pied.
Changement de cap
Dernière prise de météo du guide avant la grande traversée : « Vent de face, 3 bons beaufort, Sud, Sud-Est, ça va tirer dans les bras mais vous pouvez le faire. Du coup on met cap sur la Maddalena ». La Maddalena, cet archipel sarde à peine plus proche, à la beauté légendaire.
La radio VHF est à portée de main, réglée sur le canal de détresse, les « bout de remorquage » fixés sur les ponts. Je dois avouer que j'aime cette ambiance, non pas tant à cause de l'adrénaline que de l'esprit de groupe qu'elle suscite. Ici pas de compétition mais de l'entraide. La sécurité de chacun dépend des autres. En cas de dessalage comme de coup de fatigue, il n'y a pas d'issue sans les autres. Une interdépendance inhérente à la mer, à cet élément dont nous faisons notre loisir et où nous n'avons pas vraiment notre place. Nous tournons le dos aux Lavezzi, le monument aux marins disparus de la Sémillante dresse sa prière vers le ciel et nous regarde nos engager dans la traversée.
Les traversées. Dans le jargon des pagayeurs marins, le mot désigne ces instants de pleine mer, loin des côtes. Parfois si loin qu'elles ne paraissent même plus au regard. Ici peu de faune, pas de paysage, rien qui vienne occuper l'esprit. L'ennui ? Sans doute un peu, parfois. Mais aussi des instants où l'esprit se concentre sur la gestuelle, sur la forme des vagues, … une forme de méditation pour certains tandis que d'autres chantonnent : I'm gonna serve it to you, and that ain't what you want to hear, but that's what I'll do … La chanson des White Stripes a un furieux succès en ces moments. Mais face au vent, les distances s'allongent. Les premiers signes de fatigue apparaissent et il faut se discipliner pour naviguer en groupe tandis qu'à chaque coup de pagaie l'écart pourrait se creuser.
6 heures sur l'eau et toujours pas de côte en vue. Face au vent, les torses s'inclinent pour réduire la prise au vent. C'est interminable et sans répit car chaque pause se solde par un prodigieux retour en arrière. Premières douleurs, les visages se crispent, quelques larmes – discrètes – apparaissent. Les remorques s’organisent. Ceux à qui il reste un peu d'énergie viennent accrocher un bout – ne dites pas corde cela porte malheur – de remorquage et soulagent les plus épuisés. Et enfin voici les tamaris de l'île de Budelli, déjà engloutis par l’obscurité. Saoul de fatigue et sans doute un peu également de ces quelques bouteilles qui s'ouvrent chacun décrit « sa »traversée, évoque les difficultés mais aussi la chance de ne pas avoir trop subi de houle, pas de déferlantes … Les récits individuels se mêlent et soudent l'aventure collective.
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La Maddalena
Réveil avec le chant d'une bouscarle dans un petit matin gris. Les nuages envahissent le ciel et nous nous hâtons de déjeuner avant les premières gouttes. Les vareuses sont glissées à portée de main et le matériel de bivouac reprend sa place dans les caissons. Devant la plage, la mer prend des teintes de lagons polynésiens qui invitent à une douce errance dans l'archipel. Cela tombe bien car il s'agit de notre programme pour les deux jours à venir. Il faudra, au passage, ne pas oublier de refaire les provisions d'eau qui devraient se tarir à la fin de cette troisième journée.
Budelli, Spargiotto, Spargi, Maddalena, … le nom des îles s'égrène et sous le soleil revenu, les miles nautiques s’enchaînent sans que nous y prêtions attention tant la beauté des granites roses fait écho à celle des eaux variant du glauque à l'outremer. Nous achevons notre tour dans l'archipel par une navigation autour de Budelli. Au Nord-ouest la côte sauvage, aux roches mises à nu par les tempêtes. Au Sud-est les petites criques, les plages protégées idéales pour le bivouac. Entre les deux, la perception de la mer diffère du tout au tout. Protégé du Maestrale – le vent du Nord – notre bivouac donne à voir un lagon calme tandis qu'au large le vent souffle et lève déjà la houle. « Demain on plie de bonne heure, la météo se gâte, on a pas un gros créneau pour le retour. Pas de bol le vent a tourné on l'aura à nouveau de face. Mais en attendant : apéro ! »
Seven nation army…
Un lézard tyrrhénien se réchauffe sur la roche ocre, profitant des premiers rayons de soleils. Des en-cas plein les poches de mon gilet, la gourde re-remplie je peaufine chaque détail de cette nouvelle traversée. Crème et lunette solaire, dernier pipi, les jambes glissent dans l'hiloire que je ferme avec la jupe d’étanchéité. Premiers coups de pagaies sur l'eau turquoise puis très vite nous rejoignons la houle du large. Une houle ample, régulière, comme la respiration d'une grosse bête. Rien d'inquiétant là-dedans, il faut juste rester à vue les uns des autres. La chanson des White stripes rythme mes coups de pagaie et me transporte vers les Lavezzi. « Même une armée de sept nations ne pourrait me retenir » … les riffs de la guitare de Jack White se mêlent aux rafales du vent et revoici Bonifacio en vue. La lune se lève sur la mer, les courbatures s'endorment à la chaleur du bivouac et tandis que s’achève cette randonnée naissent des rêves de nouvelles navigations.
Informations pratiques
L’itinéraire se déroule dans ce qui est sans doute une des plus belle zone de Méditerranée. Une beauté fragile et protégée. Le futur Parc Marin International des Bouches de Bonifacio devrait prochainement englober toute la zone et son mille-feuille de réglementations (espaces du conservatoire du littoral, réserve des Bouches de Bonifacio, des Lavezzi, Parc national de la Maddalena, …). Une réglementation qu'il vous faudra, en attendant, consulter pour ne pas commettre d'impair. Les règles élémentaires de respect de la nature s'imposent : bivouac de la tombée au lever du jour, jamais sur les dunes qui sont très fragiles, pas de feu, pas de dérangement de la faune.
Formalités
L’Italie est membre de la communauté européenne et même de la zone euro, une simple carte d'identité vous permet de vous y rendre si vous êtes ressortissant de l'UE. Pas de réglementation nationale italienne concernant les kayaks de mer qui relèvent des autorités portuaires locales.
En France, en dehors de la bande de 300m autour d'un abri, la pratique du kayak est soumise à réglementation. Pour s'engager dans une navigation dite « côtière », c’est-à-dire jusqu'à 6 miles nautiques d'un abri, le kayak doit être conforme, immatriculé et embarquer l’équipement obligatoire.
Accès
La Corse est facilement accessible par transports en communs, notamment depuis Marseille et Toulon. Ceux transportant leurs kayaks pourront même directement les embarquer sur un chariot et démarrer l’itinéraire de Bonifacio.
Sécurité-santé
Le kayak de mer est une activité de pleine nature qui ne doit être pratiquée qu'en pleine conscience de ses propres capacités physiques et techniques et avec une solide expérience de la mer. La mer Méditerranée, sans marées ni courants forts se prête parfaitement au kayak mais ses sautes d'humeur, la capacité de ses vents à se déchaîner en peu de temps en impose même aux meilleurs. Prise régulière de la météo, port permanent des équipement de sécurité et maîtrise des techniques de secours sont indispensables. Cet itinéraire ne doit s’envisager que parfaitement préparé et pour cela rien de mieux que d'effectuer quelques stages avec un moniteur qualifié et de partir avec un guide. En France comme en Italie, le 112 est le numéro de secours pour le téléphone. A la VHF, c'est le canal 16.
Quand y aller
Le printemps avec son maquis en fleur ainsi que l'automne et ses lumières exceptionnelles sont les saisons à privilégier.
Avec qui partir, préparer son voyage
Seule agence française spécialisée dans les séjours à la pagaie, Unghalak vous accompagne dans votre apprentissage du kayak de mer grâce à des stages techniques et vous prépare à de telles aventures.
A lire, à écouter
- Le kayak de mer, de Bernard Moulin, Ed. Le Canotier, mai 2014. La référence en français, pour tout apprendre sur le kayak de mer
- La corse : Le littoral corse en 6 itinéraires naturalistes, Collectif, Ed. Delachaux et Niestlé, 2010. Pour en savoir plus sur la géologie et la biodiversité de l'île de Beauté
- Seven nation army, la mythique chanson qui propulsa les White stripes sur le devant de la scène et ne manquera pas de vous trotter dans la tête.