Je m'acquittai de ma note à la réception et questionnai la femme derrière le comptoir au sujet d'une curiosité locale. Dès neuf heures passées, j'étais en partance pour de longs kilomètres de randonnée. J'accomplis un détour par le haut de la station, saluai des vaches salers et accédai tranquillement à un sentier GR 4E menant au Mont-Dore. Au lieu-dit « Les Longes », je traversai un pont sous lequel coulait avec frénésie la Dordogne. Cette image immortalisée sur pellicule, ainsi que la rangée florale derrière moi, symbolisait le retour du beau temps. Plus loin, je rejoignis la Départementale qui reliait Mont-Dore à la station. Puis je gagnai, avant l'entrée dans la ville thermale, un chemin pédestre à ma droite.
Je plongeai alors au creux d'un bois touffu, entre une face rocheuse et un abîme au fond duquel bondissait en abondance un torrent. L'air y était frais, malgré l'humidité accrochée aux arbres. Je dépassai ou me fit dépasser par des randonneurs devenus affluents. Après deux kilomètres de marche sur de grosses pierres et sur un sol terreux, je débouchai en amont à l'une de ces curiosités locales dont j'avais sollicité l'itinéraire. De loin, j'entendais le bruit discontinu d'une chute d'eau. A mon approche d'une clairière, je découvris la Grande Cascade, haute de trente mètres, qui arrosait les récifs à ses pieds avant de se former en torrent et de se jeter dans la Dordogne, en contrebas. Je demeurai en ces lieux sublimes le temps d'une pause-déjeuner, installé à un bloc de rocher surplombant la naissance du torrent. A travers des percées entre les arbres, le ciel se distinguait ; il se voila dangereusement jusqu'à camoufler par instants le soleil et suspendre ainsi la chaleur. Un halo lumineux se créait subtilement parfois au-dessus de la Cascade, valorisant davantage les reflets déjà fondés de façon naturelle aux abords de la verdure.
Vers midi, en m'éloignant de la Cascade, le ciel se couvrit totalement. La fraîcheur prit d'emblée possession des lieux. Sur une allée forestière menant au Mont-Dore, le tonnerre gronda. Une pluie fine ruisselait sur mes pas. Le bruit de la tourmente se répandait en écho, de sorte qu'il était encore possible d'entendre son effet même une minute après, de loin en loin. Je m'abritai sous des feuillages, sur un banc. En attente d'une inversion du temps, je terminais de me restaurer. Le crachin redoubla en un déluge de giboulées désormais intermittentes et dans une série d'éclairs vifs. Forcé par la longue distance me restant à accomplir, je repris mon circuit initial.
Les premières maisons du Mont-Dore m'apparurent enfin. L'avalanche pluvieuse cessa graduellement, au point de disparaître à ma sortie de la forêt. Force est de constater qu'à chacun de mes passages dans cette cité thermale, de renommée mondiale, je me faisais surprendre par la grisaille et les orages. A croire qu'on ne pouvait l'admirer que sous cet aspect – par ailleurs l'eau joue un rôle prédominant et fondamental dans le charme de cette ville. Malgré cette observation, la météo avait refroidi d'instinct mes ardeurs quant à une brève visite de ses plus beaux bijoux. Je fis donc une traversée éclair et débarquai, soulagé et glacé, sur l'autre rive. En consultant ma carte, j'optai pour suivre un nouveau chemin forestier qui, en se joignant à des sentiers escarpés, allierait la Bourboule à l'issue de six kilomètres. Les nuages m'accompagnèrent malgré une excellente luminosité. Le soleil s'entêtait à jouer à cache-cache avec les nuées ; tandis que les températures s'amusaient au yoyo au gré de leur humeur.
Je gagnai, non sans mal, au lieu-dit « Plat à Barbe » qui offrait, moyennant finance, le spectacle de deux formidables cascades, éloignées l'une de l'autre d'une centaine de mètres. Je risquai même, pour la première cascade visitée, à m'engager au col formant la chute d'eau, depuis laquelle plusieurs mètres me séparaient du point de chute. Derrière moi, le ruisseau se fracassait sur les rochers et me menaçait à tout instant de me faire trébucher. Un dément tel que moi ne pouvait que se mettre en péril pour seulement des photos, certes uniques mais dangereuses ! A vrai dire, arriver d'aussi loin et de ne prendre aucun risque pour ne pas manquer l'essentiel, cela revenait à un contre-sens.
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Ma soif d'aventure ainsi étanchée, me voici dorénavant hors de la forêt, à destination de la Bourboule sur la D130. Des éclaircies effectuaient la même route et les nuages s'écartelaient enfin. Je franchis la ville comme une flèche, en suivant le cours de la Dordogne sur la rive sud. A dix-huit heures passées, j'envisageai de me détourner du côté du Parc Fenestre, créé en 1875, qui abrite nombre de variétés de plantes vivaces et des arbres centenaires aux racines écorchées.
En toute hâte après une brève visite, je quittai le Parc et transperçai en large la Bourboule pour m'enfoncer dans des chemins boisés. J'empruntai la même balade déjà suivie lors de mon premier jour d'arrivée ici, pour l'avoir escaladé jusqu'à la Roche des Fées à travers les chemins ombragés. Pourtant, au quatrième jour de randonnée, l'intention était de prolonger jusqu'au village de Murat-le-Quaire, sur le versant Sud de la Vallée de la Haute-Dordogne, soit trois kilomètres à gonfler à mon programme. L'accès à ce bourg semblait aisé en consultant les guides de randonnée, tout en respectant un balisage très précis. Or, à l'évidence, les sentiers ainsi décrits étaient en pente raide et terriblement rocailleux. Il me fallut une heure entière pour atteindre mon lieu d'hébergement, à la sortie de Murat-le-Quaire et aux abords de plusieurs départs de randonnée.
La lourdeur de mes jambes me rappelait le nombre effarant de kilomètres engloutis. Aux environs de douze, peut-être quinze en comptabilisant le détour par la Grande Cascade sur les hauteurs du Mont-Dore.
Le patron de l'auberge parut jeune et chaleureux. Il m'accompagna jusqu'au seuil de ma chambre. Au premier étage, il me pria de me déchausser pour respecter l'hygiène. Puis ensemble nous gravissions à nouveau un étage menant à une série de chambres. Il ouvrit celle au numéro 7 et je découvris un espace aménagé sous les toits. Cette mansarde au charme familial me plaisait à ravir. Epuisé, je laissai choir mon fardeau à terre et m'écroulai à l'horizontal sur le lit douillet à deux places, bras et jambes tendus ; puis les paupières closes, je m'efforçai d'évacuer la lourdeur de mes membres et de permettre à mon esprit de se reposer.
Ma soirée fut occupée à parcourir, dans un petit salon du premier étage, des magazines narrant l'histoire de la région ou des lacs formés à l'endroit d'un ancien volcan. M'ayant laissé surprendre par un engourdissement naissant, je me couchai tôt avec la perspective de passer une nuit tranquille.
Ici, se clôturait définitivement mon circuit en boucle, dans une douceur idyllique.