Interview de Régis Belleville, le chamelier blanc

Interview de Régis Belleville, le chamelier blanc. A l'occasion de la sortie de son ouvrage « Mémoires du Désert », il revient sur sa tentative de traversée du Sahara d'Ouest en est au plus près du 20ème parallèle et révèle au passage ses missions pour les services de renseignements français. Rencontre.

Reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes mondiaux du désert, Régis Belleville a longtemps travaillé pour la communauté scientifique sur la problématique de la déshydratation. Déjà auteur d’une méharée de 49 jours entre Chinguetti et Tombouctou, il se lance en 2005 dans le projet complètement fou de la traversée du Sahara d’ouest en est au plus près du 20ème parallèle. Dans son dernier ouvrage « Mémoires du Désert », il revient sur sa tentative et révèle au passage ses missions pour les services de renseignements français.

A l’occasion de la sortie de l’ouvrage « Mémoires du Désert », I-Trekkings a voulu en savoir plus sur la tentative d’expédition à travers le Sahara de Régis Belleville. Dans l’ouvrage, il révèle au grand public le récit de son aventure et ses implications pour les services de renseignements français. Eclaircissement.

On te connaît comme le « chamelier blanc », un peu moins comme agent secret. Peux-tu nous expliquer comment tu as été enrôlé par la DGSE ?

Le terme n’est pas agent secret, mais plutôt « agent clandestin », donc loin de l’imaginaire 007 ! J’ai été contacté pour différentes raisons, mon passé militaire, une enquête de recrutement positive, mes capacités à me déplacer seul dans le Sahara avec des dromadaires en totale autonomie, ma future traversée ouest-est qui imposait une grosse préparation de terrain en amont et qui masquait de façon légitime mes activités de renseignements, les contacts que j’entretenais avec certaines tribus et personnes proches des mouvements salafistes du nord Mali et l’intérêt de l’analyse de situations dans mes rapports de missions au retour.

Pourquoi dévoiler tes missions auprès de la DGSE ?

Par éthique et justesse, je ne pouvais écrire cette partie de ma vie sur cette tentative de traversée saharienne sans parler de mes activités de renseignement qui à l’époque finançaient la phase préparatoire à cette expéditions et étaient intimement lié à mon vécu saharien. Mais j’ai attendu 5 ans, que les informations dévoilées dans cet ouvrage soient moins sensibles, par rapport à un contexte géopolitique qui a beaucoup changé aujourd’hui. Depuis quelques mois, les bouleversements au nord mali, font que les informations décrites sont contextuelles et n’intéressaient que la période de 2004 à 2007. De plus les gouvernements de certains pays ont depuis été renversés, ce qui rendait plus simple l’écriture et plus anecdotique. J’ai aussi attendu d’avoir le soutient de personnes directement liés aux services de renseignements français et mon éditeur m’a finalement convaincu de l’intérêt d’écrire non seulement un récit d’aventure mais également un témoignage sur la géopolitique de terrain de cette zone saharienne et des enjeux pour notre pays. Et pour finir, d’être absolument sûr de ne pas vouloir être réactivé pour d’autre mission, ayant décidé de tourner la page et de changer à présent l’orientation de ma vie. Mais cet ouvrage est avant tout et simplement la narration d’une période de ma vie, d’une aventure enrichie d’une analyse géopolitique de terrain, remplissant à l’époque par nécessité des missions pour la Direction des Opérations de la DGSE qui permettaient mes entrainements chameliers et la préparation de cette traversée intégrale du Sahara.

Certaines personnes m’on reproché d’avoir été aigri par rapport aux renseignements français. Ce n’est pas le cas. Ce que je critique, c’est plus l’abandon du renseignement humain au profit du renseignement électronique. Conséquence directe : aucun évènement sur le territoire africain, que cela soit la chute de Kadhafi, le printemps arabe ou le nord Mali, n’a pu être prévu.

Régis Belleville

N’as-tu pas peur que ces révélations te soient préjudiciables sur place par les nomades, les salafistes et les contrebandiers ?

Je ne vais plus dans les régions hyperarides à l’heure actuelle. Plus aucune mission climatologique n’est envoyée sur place. Les universités comme le CNRS n’ont plus le droit d’envoyer des scientifiques dans ce secteur.

En quoi consistaient tes missions de renseignements ?

Elles étaient assez précises : Analyser les relations sociales, économiques, … entre les différentes tribus de l’ouest saharien. Etudier la contrebande et les rapports qu’elle entretenait avec les salafistes. Préciser les passages, les pistes non répertoriées de cette contrebande, les puits fréquentés, les lieux d’enfouissements éventuels de la logistique des salafistes (nourriture, eau, gasoil). Surveiller les fréquentations des cybercafés de certaines villes et recueillir des données informatiques. Décrire et analyser les activités militaires rencontrés et leurs partenariats étrangers dans le cadre de la lutte anti terroriste ou autre. Analyser le mécontentement des populations dans certaines régions face à leur autorité gouvernementale, si il y avait lieu. Cibler si possible, des candidats locaux susceptibles d’être contactés et recrutés par la DGSE, pour infiltré les réseaux de contrebande ou salafistes. Voilà la théorie, qui n’était pas simple sur le terrain ! Mais ces missions m’ont permis de faire des rencontres fraternelles, même avec des personnes proche d’AQMI, (ex GSPC). Ne partageant pas ce concept de radicalisation islamique, j’ai respecté simplement les hommes dans la simplicité de leurs croyances et de leurs convictions, immergés au milieu de ce désert, combattants quotidiennement pour assurer leur difficile survie dans cet environnement totalement inhospitalier. Un grand nombre était d’obédience salafiste, mais souvent contre la violence et le djihad.

Régis Belleville

Justement, tu décris le Sahara comme « la plus vaste zone d’instabilité et de non-droit de la planète » ? Crois-tu qu’il est irresponsable qu’une agence de trekking envoie des voyageurs dans cette partie du monde ?

Le Ministère des Affaires Etrangères (MAE) englobe toute la zone en rouge sans tenir compte des évolutions locales. Pour une agence de voyage qui n’est pas sur place, c’est difficile d’évaluer les risques. Pour limiter les risques, c’est mieux d’éviter d’envoyer des gens au Sahara. Le Tchad que relance Point-Afrique est l’une des destinations les moins dangereuses du moment, sauf bien entendu s’il y a embrasement de la région. Car tout peut changer très vite.

Que penses-tu de la position du MAE de classer le Sahara en zone rouge ?

C’est un avis sans discernement. Leur position est de prendre le moins de risque possible pour les ressortissants français. En même temps, c’est toujours pénible et difficile d’extraire des otages et l’envoi d’une intervention au Sahara constitue bel et bien un risque pour les 7 otages actuellement au main d’AQMI. De la même façon, les otages compliquent beaucoup la position française au nord Mali. Je crois qu’il est encore temps de jouer la carte de la négociation avant d’envisager l’intervention militaire.

Régis Belleville

Revenons à ta traversée du Sahara, d’ouest en est. Quelles étaient tes motivations ?

J’avais la volonté de relever un défi parce que cette traversée du Sahara au plus près du 20ème parallèle n’avais jamais été réalisée. Ça c’est pour le côté sportif. L’autre source de motivation concernait l’observation scientifique que j’ai mené tout au long de ma progression. Plus égoïstement, j’avais aussi besoin de cette solitude dans le Sahara et me confronter aux éléments pour y survivre.

Tu dis page 98, « le désert, plus qu’ailleurs, est une véritable école de l’économie ». Peux-tu expliquer…

Le Sahara impose d’abord une économie physiologique. J’étais limité à 4 litres d’eau par 24 heures maximum alors que je pouvais en perdre jusqu’à 10 litres. Je me mettais en hyperdéshydratation la journée. Je m’économisais la journée en montant mes dromadaires, en marchant à l’ombre de mes dromadaires, en forçant peu mon pas et je me réhydrater la nuit de façon à ce que le peu d’eau que j’avais ne serve qu’à ma physiologie.

Dans le désert profond, il n’y a rien ou très peu de choses. Je ramassais les crottes de mes chameaux pour faire des coussins pour protéger les flancs de mes dromadaires ou pour faire du feu. Quand je quittais un bivouac, je ne laissais pas plus de traces qu’un nomade saharien : quelques noyaux de dattes, un peu de cendre et puis rien d’autre.

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Régis Belleville

Que portaient tes dromadaires ?

Principalement de l’eau, ensuite de la nourriture, quelques vêtements et un peu de matériel : un panneau solaire, un téléphone satellite, une balise Argos et une petite caméra. Quelques objets de survie.

Quelles relations entretenais-tu avec eux ?

C’est un peu la différence entre le métier de méhariste et de chamelier. Le méhariste va monter et débâter son dromadaire. Un chamelier va emmener les dromadaires d’un point A à un point B que les camélidés ne connaissent pas forcément. Le chamelier doit obtenir la confiance de ses animaux. C’est là que se trouve la subtilité du métier : ne jamais forcer la physiologie des dromadaires sinon ils vous abandonnent le soir. Il y avait une telle confiance entre Azaref et moi que je n’avais pas besoin de l’entraver.

Ton aventure a duré 5 mois sur 4000 km à travers les zones les plus arides du Sahara. A quoi ton esprit était-il occupé ? Tes repères spatio-temporels ont-ils été mis à mal ?

Mes journées étaient majoritairement occupées de façon très cartésiennes à ma progression, à la survie de mes dromadaires, et par conséquent à la mienne, ainsi qu’a mes observations de terrain et à l’économie de ma physiologie dans cette situation de déshydratation latente. Ce qui me laissait très peu de place à l’extase, à l’introspection, à la philosophie ou même à la jouissance de cette liberté.

L’Homme est un mammifère très peu adapté au Sahara. Il faut donc user de stratégies ou d’un bagage accumulé par l’expérience pour pouvoir survivre à ce type de méharée.

La perte de repères spatio-temporels a été mise à mal uniquement par l’accident de déshydratation dans le Ténéré qui m’a conduit à cet état clinique de la confusion mentale. Là, j’ai perdu tous mes repères et en particulier la notion de survie qui aurait pu me coûter la vie.

La décision de stopper cette traversée du Sahara, ce n’est finalement pas vraiment toi qui l’a prise…

Oui ce n’est pas moi qui l’ai franchement prise. Je ne me rendais plus compte de ma situation de déshydratation. Depuis 5 mois, je n’avais qu’un seul objectif de progression, j’étais persuadé que je pouvais encore continuer alors que mes réserves d’eau étaient insuffisantes et mes dromadaires épuisés.

Je pouvais le prendre ce risque mais il était maximum et fort peu calculé par rapport à mes décisions habituelles.

C’est un contact à Agadez qui est venu me récupérer en 4×4 par devoir de fraternité. Il a pris le risque de venir me chercher en pleine nuit et dans la tempête dans un lieu où les 4×4 ne passent pas habituellement. Cette personne, je l’a remercie encore aujourd’hui. Dans la précipitation, il n’a pas pris le temps d’emmener du fourrage et de l’eau pour mes dromadaires de façon à leur donner toutes les chances de survivre si je les libérais. N’ayant rien pour eux, j’ai enlevé les entraves ; ils sont immédiatement partis en courant et ont tous suivis Azaref qui est revenu sur nos pas. Il a eu l’intelligence de revenir jusque dans les montagnes. Ils ont pu s’alimenter correctement et être repéré par un ami Touareg.

Régis Belleville

Avec un peu de recul, qu’est-ce qui t’a manqué pour ne pas réussir ton aventure ?

Il y a un tas de circonstances malheureuses qui se sont accumulées. A commencer par les conditions climatiques, anormalement chaudes cet hiver là et qui m’ont obligé à prendre énormément de temps pour abreuver mes dromadaires. Les problèmes de la balise Argos m’ont fait dévié de mon cap où j’ai perdu du temps. Et peut-être qu’à la fin, j’ai poussé ma volonté et ma physiologie au delà de mes dernières ressources. Je devais passer le Ténéré et faire 30 km par jour, ce que je n’arrivais pas à faire avec le vent de sable que j’ai rencontré.

Il y a un proverbe locale qui dit : « quand il n’y a plus de force, il reste le courage de continuer ou la dignité de mourir ». Et moi, j’ai du perdre le courage.

Est-ce que c’est une aventure que tu envisages de retenter un jour ?

Si la géopolitique est un peu plus stable, pourquoi pas, mais je monterais plus mes dromadaires sur la première partie car j’ai réalisé toutes les observations au sol que je souhaitais mener. Et en gagnant du temps sur cette première partie, je devrais pouvoir en huit mois atteindre la mer Rouge.

Bibliographie

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