Empruntant le même chemin, les pèlerins quittent le monastère. Nous les suivons, continuant plus loin dans la vallée. Le faible enneigement nous encourage à aller au fin fond de la vallée, jusqu’à Kargyak, dernier village recensé sur la carte, l’un des plus éloigné de Padum.
Nous hésitons souvent sur le côté de la berge à emprunter pour rejoindre la prochaine étape. Et si au départ de Phuktal, ils étaient nombreux à nous accompagner, nous nous retrouvons seules après une pose thé dans la chaleur d’une cuisine. Au loin, un pont enjambe la Tsarap. Je m’attarde un peu pour prendre des photos et lorsque que je m’engage à mon tour, c’est avec d’infinis précautions que j’avance sur les pierres plates et les planches de bois posées en équilibre sur des câbles tendus. Point de main courante, je ne veux pas finir dans la tchaddar ! Mon seul point de mire, mes chaussures qui se déplacent. Soulagée d’avoir presque atteint l’autre rive, un choc d’une violence inouï me projette soudainement en arrière. Le temps de retrouver mes esprits me voilà allongée sur le pont, une douleur aigu à la tête qui a heurté une poutre transversale que, dans ma concentration, je n’avais pas vue . J’attends qu’Ansatu vienne à mon aide. J’attends vainement, la douleur se fait lancinante, je suis seule au monde.
Partie reconnaître le chemin, Ansatu ne viendra que longtemps après. Nous rirons de cet épisode quelques jours plus tard mais que d’émotions !
La marche continue. Nous nous enfonçons dans cette vallée plus rude. Le vent glacial nous fait front. L’atmosphère peu à peu chavire de l’insouciance frivole à une profonde austérité hivernale. Les derniers pèlerins que nous rencontrons s’éloignent dans leurs habits de fête. Nous marchons désormais en noir et blanc. Tout n’est que pierres et neige. Cette dernière ralentie notre progression. Le blizzard siffle dans le crépuscule et nous ramène le jappement de quelques chiens errants. Désolement poignant. Comme en apesanteur, à la charnière des temps, nous nous laissons imprégner par ces relents de Moyen-âge.
La fumée bleue qui danse au-dessus des maisons nous rassure et nous attire. Sur le point de nous arrêter à Testa, notre étonnement lorsqu’un homme nous assure que nous sommes attendues dans le prochain village. Il s’agit de Yangeorg, qui nous avait repéré à Leh lors de notre arrivée au Ladakh. Lui et sa famille nous réservent un accueil chaleureux, l’occasion de partager leur quotidien.
Leur pièce de vie, la cuisine, est grande. La fenêtre, unique source de lumière, calfeutrée avec du plastique pour augmenter la chaleur l’hiver. Deux brebis et leurs petits partagent cet espace ; ils s’aventurent parfois parmi nous pour la plus grande joie des enfants qui jouent avec des peluches vivantes. Comme dans de nombreuses familles, le peyrak est accroché au mur avec d’autres colliers. L’unique meuble est un vaisselier, des planches de bois superposées, espacées par des bidons sur lesquelles sont méticuleusement alignés la vaisselle et les ustensiles de cuisine qui se résument à une cocote minute, quelques casseroles et un plat en pierre pour la confection du baba. Le fourneau, seule source de chaleur de la maison est au centre de la pièce, c’est face à lui que nous sommes assises, la place d’honneur réservée aux invités.
Après une nuit, une de plus où l’eau gèle dans nos gourdes (il a fait jusqu’à –15° C dans les pièces où l’on a dormies), nous sommes tous réunis autour du poêle central. Malgré l’heure matinale et le froid qui sévit dehors, il règne une grande activité dans la cuisine. Le premier gurgur thé vient d’être baraté avec du beurre et du sel. Quelle que soit l’heure de la journée, il y en a toujours au chaud. Nous devons même ruser pour que nos bols ne soient pas remplis en permanence.
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La femme de Yangeorg s’est déjà emparée de la laine : carder, filer, mettre en pelotes ; comme tous les Zanskarpas elle est expert dans le maniement de la quenouille. Le fil obtenu, une fois tissé et teint servira à fabriquer les gonchas, ces épaisses tuniques bordeaux qu’ils portent en permanence l’hiver. Sa fille, enflammant une branche de genévrier, la promène dans toutes les pièces de la maison : purification, chasse aux démons, les habitants du Zanskar, plus qu’ailleurs, vivent dans la superstition. En témoignent les amulettes portées par les enfants jusqu’à l’âge de sept ans, les poutres de la cuisine piquetées de points blancs…
Les enfants sont envoyés à la rivière chercher de l’eau. Lorsque la chaddar est entièrement gelée, il leur faut d’abord casser la glace avant de remplir leurs bidons. Ce n’est pas eux qui vont se plaindre des températures relativement clémentes de cet hiver !
La belle-fille pendant ce temps là fait du baba, tsampa cuite dans de l’eau jusqu’à qu’elle forme une pâte épaisse. Façonnée en petites boules, elle servira ce matin de plat de résistance avec une sauce au curry et une poignée de légumes. La vallée étant dépourvue de bois, c’est avec des bouses de vaches et du crottin de chèvres qu’elle alimente régulièrement le feu. Le poêle dégage une fumée qui s’installe dans la cuisine. Combien de fois n’avons-nous pas finies une soirée les yeux remplis de larmes ! Rien ne se perd au Zanskar, précieusement récoltés, les excréments également, serviront d’engrais pour enrichir la terre.
Yangeorg lui non plus n’a pas perdu son temps. Après avoir cousu et accroché de nouveaux drapeaux à prières sur son toit, il a profité de la visite d’un cousin pour trinquer au chang : orge fermenté préparé dans chaque famille. A peine une gorgée a t’elle été avalée que leurs tasses sont de nouveau remplies.
Les heures passent, le chang valse, les femmes s’affairent dans la cuisine ou dans l’étable. Lorsque la pièce devient trop sombre, la lampe solaire est allumée. Fournie par le gouvernement à chaque famille de cette vallée, cette source de lumière a allongée la durée des longues soirées d’hiver. Terrassé par le chang, le cousin dort sur le tapis tandis que Yangeorg continue vaillamment, nous incitant à se joindre à lui, jusqu’à ce que nous décidions de rejoindre la pièce où nous dormons.
Les villages s’enchaînent, nous progressons dans la vallée jusqu’au dernier inscrit sur la carte. Kargyak a cette fascination d’être le plus éloigné. Le chemin qui y conduit est rempli de neige. Les traces du chemin ont été effacées durant la nuit, notre progression est ralentie par des vallons où nous nous enfonçons jusqu’aux genoux. Après quelques heures de marche dans ces conditions, nous sommes séduites par une étendue plate, enfin une marche facile ! A peine le temps de formuler cette pensée, Ansatu est littéralement aspirée dans un trou. La glace vient de rompre sous notre poids. Nous marchions sans le savoir sur une chaddar ! Le temps de me rendre compte qu’elle est dans la rivière, je la rejoins à mon tour, tombant d’un coup, assise dans l’eau glacée. Le temps de me relever, j’ai la vision de l’eau qui coule dans un tunnel de glace. Ansatu est déjà ressortie. Je n’ai alors qu’une pensée en tête, lui donner mon Nikon que je tiens à bout de bras depuis le début. Lui au moins sortira indemne de cette aventure, ce qui n’est pas le cas de la partie inférieure de mon corps, transformée rapidement en glaçon et plus particulièrement mes pieds qui baignent dans une eau glacée. De la glace à hauteur de poitrine, le sac photo autour des hanches, j’ai peine à me hisser sur la berge glacée. La fine pellicule de glace risque à tous moments de se rompre. La main d’Ansatu apparaît, je fais à mon tour la planche pour sortir de ce trou.
Nous sommes trop près du but pour renoncer. Une heure de marche nous sépare du dernier village ; une heure pour s’imprégner de l’atmosphère de cette fin d’après-midi d’hiver, ou le soleil, voilé par des nuages, créé une ambiance de Moyen âge. Une heure de marche en longeant les murs de pierre à mani et les chortens que nous contournons par la gauche, comme tous les Zanskarpas, très superstitieux. Il ne faut surtout pas mécontenter les démons qui nous entourent ! Kargyak apparaît, les maisons, éparses, solidement installées sur les berges de la rivière. Est-ce parce que c’est le village le plus éloigné ? le sentiment d’éloignement n’a jamais été aussi grand. Nous le réalisons d’autant plus lorsque nous revenons sur nos pas jusqu’à Pipiting.
Texte & Photos : Marie-Laure VAREILLES ; Esquisses : Ansatu Schlumberger