+2200m/-1800m
Un moment clé aujourd’hui: l’arrivée au Pas de la Case, comment va-t-on y survivre? Cette étape signifie l’approche de la fin (plus qu’une semaine), des villages plus fréquents et des vivres frais.
Choc entre deux mondes
Je commence par poser le pied droit par terre. Suspense… Ca va, la douleur a bien régressé. Alors que je serre les lacets de ma chaussure, une évidence me frappe l’esprit: "Mais ! Bien sûr, quel imbécile! C’est ça: hier au Port du Rat, j’avais lacé bien trop serré, ce qui a dû comprimer le tendon et déclencher la douleur…". Du coup, je lace modérément: un festin est au menu ce soir, je tiens à arriver en forme!
On prend le petit déjeuner, les espagnols se lèvent. A 7h on est partis et à 9h nous voilà déjà au col dels Meners où je commence à me réveiller. On a croisé la cabane "La Serrera" au dessus de Sorteny, mais sans prendre la peine de descendre voir comment elle était.
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Peu après le col, un névé en pente nous tend les bras, Nico et moi nous lançons en ramasse dessus, Micha nous suit en équilibre précaire. Puis un deuxième névé beaucoup plus long et pentu est vite descendu, malgrè une gamelle chacun au milieu dont on arrive à se relever tout en glissant. On attend Micha en bas avec un grand sourire complice: il a préféré passer dans les cailloux sur le côté et nous rejoint en hochant de la tête et en répétant qu’on est vraiment "des fous"!
Nico et Micha marchent devant, en super forme apparemment puisqu’il descendent en courant près de 200m mètres de dénivelée. J’y vais plus calmement: ma cheville ne me fais plus mal, mais on sait jamais. Je ne résiste cependant pas à galoper un peu quand la pente s’adoucit et qu’il n’y a qu’à "dérouler".
S’en suit une remontée à flanc jusqu’au col près du Cap de Tosa d’Entor où on fait une courte pose avant de descendre dans la vallée d’Incles. Parmi des petits éboulis et de l’herbe rase les itinéraires se mèlent et s’entremèlent, on choisit au mieux pour arriver à la petite route au fond de la vallée par un bon sentier qui descend en laçets pas trop raides parmi des conifères.
C’est joli, ce coin me plaît beaucoup, les cabanes et les fermes qui bordent la route sont mignonnes et très pittoresques.
Nico a eu du mal à suivre dans la descente, il arrive et m’explique qu’il a mal à l’aducteur de sa jambe gauche quand il force trop. On rejoint ensuite tranquillement Micha pour aller s’asseoir à la terrasse du camping d’Inclès où on boit un verre.
En discutant de l’itinéraire hier soir, Micha devait nous quitter peu après le camping d’Inclès pour passer par l’Hospitalet plutôt que par le Pas de la Case comme nous l’avions prévu, pour éventuellement nous retrouver deux jours plus tard aux Bouillouses. Mais ce matin il avait changé d’avis et décidé de rester avec nous, donc en route vers le Pas de la Case, j’espère qu’il ne sera pas déçu !
La montée vers le Port Dret se passe sans encombre, chaque fois qu’on hésite par où passer, en confrontant nos opinions et nos observations, on choisit toujours la bonne solution. Passé le Port Dret, un vent d’Est consistant nous accompagne sur un itinéraire de crête superbe et exaltant auquel je ne m’attendais pas aussi près de cette horreur qu’est le Pas de la Case.
C’est peu après le Pic del Maia qu’on la voit pour la première fois. C’est vrai que ça fait bizarre toute cette agitation là au milieu de nulle part.
On descend tout droit dans des pentes herbeuses raides, ce qui nous amène directement dans l’"arène".
Je suis excité comme si j’allais assister à grand spectacle, ça commence par un embouteillage monstre à l’entrée du Pas de La Case. Les gens sont en sueur dans leur bagnole, tantôt énervés, tantôt avec des têtes d’enterrement, des gamins s’impatientent à l’arrière. On se dépêche de doubler toutes ces voitures avec un grand sourire aux lèvres pour découvrir la rue principale avec tous ses commerces. Des montagnes d’alcool, de tabac, de bijoux et de bouffe sont entassés dans des dizaines de magasins. C’est la surenchère: qui aura la plus grande vitrine pour pouvoir y aligner le plus de paquets de cigarettes? Toujours des bagnoles partout et ça gueule, et ça s’insulte "j’étais là avant !". On s’approche du premier super-marché. Les chariots sont en mouvement permanent, remplis de bouteilles de whisky énormes, de cartouches de cigarettes, d’appareils électroniques, etc.
Il y a plusieurs étages, on prend du riz, du thon, des cacahuètes, des raisins secs, deux cakes aux fruits (pour le petit dej’), du chocolat, quelques biscuits, du nutella et du pain, mais impossible de mettre la main sur le moindre fruit! Les insultes ("bouge de là connasse" !) et le stress des gens commencent à me faire perdre le sourire, on paye, on charge les sacs et on retrouve Micha comme prévu sur la terrasse du bistrot en face. "Ils sont fous les gens là dedans" "Ouai, faut croire…".
On finit presque le pot de nutella et après un orangina bien frais, on repart à l’aventure dans les rue du Pas de la Case. Nos sacs sont remplis, avec les bâtons et le piolet dessus, les gens nous dévisagent comme si on était des extraterrestres, surtout qu’on a toujours un grand sourire aux lèvres et que Micha, lui, continue à marteler le bitume en cadence avec ses vieux batons de ski !
Ca grouille de partout, certains semblent même faire du tourisme, incroyable. On passe devant un vendeur de chaine Hi-Fi avec une musique techno bien pourrie à fond dans son hall d’entrée. Micha s’arrête à l’entrée et se met à gesticuler (sac au dos toujours) en balançant ses grandes jambes et ses grands bras batons au mains, en hurlant "YEAH DISCO! DISCOOOO! WOUUOUUU! ". Nico et moi on n’en peut plus, on en a carrément les larmes aux yeux.
On repart toujours aussi jovials, deux personnes corpulentes, quasi liquéfiées par la chaleur, assises à l’ombre sur le rebord de la vitrine d’un magasin nous regardent passer incrédules. Finallement, alors que je passe devant elles, l’une se demande à haute voix "But… Tell me where is snow !?…" (Mais dites moi où est la neige?). Je réponds en me retournant: "Far up there in the mountains!"
Micha s’arrête près d’une superette, nous laisse son sac et revient peu après tout fier avec quatre yaourts. Il nous en propose un chacun. Nous voilà Nico et moi en pleine rue à savourer un yaourt à la cuillère, Micha lui se servant de son doigt. Il a à peine fini ses deux yaourts qu’il repart en acheter 4 autres, et rebelotte. Un enfant qui passe désigne Micha à son père et lui dit quelque chose, effectivement c’est pas comme ça qu’on a dû lui apprendre à manger les yaourts!
Reste plus qu’à trouver une pharmacie pour le problème musculaire de Nico. Une fois que c’est fait, on quitte l’arène, le cirque, le zoo, le bruit pour petit à petit retrouver le calme de la montagne. Ouf. C’est marrant pendant 1h ou deux mais après …
On n’a aucune idée d’où bivouaquer, mais la pente au Nord-Est du Pas de la Case n’est pas forte et on croise plusieurs ruisseaux. Dans de l’herbe rase des dizaines de sentiers plus ou moins parallèles créés par les troupeaux se mélangent. On marche sur celui qui nous arrange le mieux et après 20 minutes de marche Nico nous trouve en emplacement plat très sympa et bien garni d’herbe épaisse.
Après: gavade de salade de riz et de tout ce qu’on a acheté pour le soir, mais on avait déjà tellement mangé au Pas de la Case qu’on n’arrive pas à tout finir.
La journée se termine, on bulle en écoutant un peu de musique, en discutant et en rigolant, un nuage commence à apparaître de nulle part de l’autre côté de la vallée et quand la nuit tombe le brouillard nous envahit.
Finallement on décide de dormir sous l’abri plutôt qu’à la belle étoile, Micha s’enfonce dans son sursac de bivouac. Au fait, on est de retour en France !